Vous n'aimez pas la bière ? Vous l'appréciez, sans doute sans le savoir. Ses saveurs, arômes et textures sont si variés qu'il serait surprenant de ne pas trouver un produit qui convienne à vos goûts. Pour le prouver, nous avons tenté de faire aimer la bière à trois irréductibles. Mission accomplie !

LES FLAVEURS INFINIES DE LA BIÈRE

Fumée, fruitée, torréfiée, sucrée, chocolatée, boisée, acide, florale, effervescente, crémeuse... Toutes ces flaveurs - c'est-à-dire « l'ensemble des sensations olfactives, gustatives et tactiles ressenties lors de la dégustation » - peuvent être perçues par le dégustateur selon le style de bière qu'il savoure et selon son expérience.

L'éventail des flaveurs des ales, lagers et lambics est si vaste - bien davantage, en fait, que pour le vin ou toute autre boisson alcoolisée - que chacun peut y trouver son compte. Les possibilités pour réussir à l'apprivoiser deviennent alors infinies.

Pourtant, quantité de préjugés subsistent encore à son égard, ce qui n'aide en rien sa cause. « L'image sociale de la bière n'est pas encore réglée, croit le bièrologue, auteur et conférencier Mario D'Eer. On parle encore fréquemment de bedaine de bière, de soûlons. »

M. D'Eer pense également que la bière a été trop longtemps associée aux hommes, notamment par l'entremise de la publicité. Les femmes - statistiquement plus nombreuses à ne pas l'apprécier - ne se sont jamais reconnues dans ces publicités faisant la promotion de valeurs masculines.

LA ROUE DE MEILGAARD

Au cours des années 70, le chimiste danois Morten Meilgaard a eu l'idée de mettre au point une roue servant à classer les perceptions sensorielles ressenties lors de la dégustation. Le dégustateur était ainsi appelé à analyser tant les saveurs et les arômes que les textures.

Cette roue, encore utilisée aujourd'hui, demeure malheureusement méconnue du grand public. Quantité de consommateurs croient encore que les saveurs de la bière se limitent à celles que l'on retrouve dans les produits des grandes brasseries. Rien n'est plus faux, vu le nombre effarant de produits concoctés chaque année par les microbrasseries.

FLAVEURS QUI REBUTENT, FLAVEURS QUI PLAISENT

Malgré leurs connaissances, certaines personnes proclament haut et fort leur dégoût pour certaines flaveurs associées à la bière. Ainsi, l'amertume et l'acidité sont souvent citées. « Le plus difficile, c'est d'apprivoiser l'amertume qui provient de l'acide alpha [présent dans la résine du houblon]. C'est tout un apprentissage », analyse Mario D'Eer, qui affirme avoir lui-même du mal avec cette amertume lorsqu'elle n'est pas bien balancée avec de l'alcool ou du sucre.

Par contre, peu de dégustateurs peuvent résister aux saveurs sucrées et aux arômes torréfiés. « Je ne compte plus le nombre de fois où des femmes me disent qu'elles n'aimaient pas la bière noire. Et à cause d'un accompagnement dessert comme un brownie, elles réussissent à l'apprécier. »

TROIS DÉGUSTATEURS SE PRÊTENT AU JEU

Pour notre petite expérience, nous avons réuni trois dégustateurs qui avaient en commun un dégoût total de la bière. Voici leurs profils :

HÉLÈNE VACHON, commis aux comptes fournisseurs

Aime le vin rouge, les flaveurs chocolatées, sucrées et fruitées. A fait quelques tentatives avec son conjoint, grand amateur de bière, qui a essayé de lui faire boire quelques gorgées de lambics (bières de fermentation spontanée). Sans grand succès. N'aime pas trop l'effervescence.

LISE GAUDREAULT, consultante en ressources humaines

Adore le vin qu'elle déguste avec son conjoint, le champagne, mais pas les vins liquoreux et les cidres de glace. Aime beaucoup les flaveurs acides, sucrées, chocolatées et fruitées. Et, dans une moindre mesure, le fumé et le torréfié. N'a pas bu de bière depuis environ 30 ans.

ÉMILE RIEL-PROULX, élève au cégep en création littéraire

Aime le vin et le cidre, les flaveurs fruitées, mais pas les alcools forts. Boit de la bière à l'occasion, même si ça lui donne un frisson de dégoût, surtout à cause de l'arrière-goût de fermentation. N'a pas essayé des tonnes de variétés, vu son jeune âge (soyez rassurés, il est majeur !). A manqué la moitié de la dégustation, donc n'a pas goûté toutes les bières.

PHOTO TIRÉE D'UNE VIDÉO DE SÉBASTIEN PEDRAGLIO

Émile Riel-Proulx, cégépien qui n'aime pas la bière, a accepté de goûter quelques brassins dans le cadre de notre expérience. 

Test de goût

Pour tenter de convaincre nos testeurs, nous leur avons fait déguster neuf bières présentant des profils très différents. Voici la description de ces flaveurs et les bières qui y correspondent.

ACIDITÉ

Les berliner weisse, bières de blé allemandes, subissent une fermentation lactique qui leur procure leurs notes acidulées, citronnées et si rafraîchissantes.

EXEMPLE: BERLINER WEISSE

CHOCOLAT

Les céréales utilisées (malt chocolat) et le niveau de torréfaction des céréales apportent des notes chocolatées à la bière.

EXEMPLE: YOUNG'S DOUBLE CHOCOLATE STOUT

FUMÉE

Les rauchbier, ces bières fumées d'inspiration allemande, laissent échapper des arômes plutôt fumés. Comment les obtient-on ? En fumant le malt utilisé.

EXEMPLE: SCHLENKERLA

EFFERVESCENCE

Le brasseur peut faire varier le niveau de gazéification et peut rechercher un niveau d'effervescence semblable à celui du champagne.

EXEMPLE: CÉLÉBRANTE ET SOFIE

PHOTO IVANOH DEMERS, LA PRESSE

Schlenkerla, Brauerei Heller (Allemagne), 5,1%

PHOTO IVANOH DEMERS, LA PRESSE

Célébrante, Brasseurs du monde (Saint-Hyacinthe), 7%

BOISÉ

Le mûrissement en fût de chêne amène des arômes boisés et vanillés.

EXEMPLE: DUCHESSE DE BOURGOGNE

SUCRE

L'ajout d'ingrédients comme le rhum brun lors de la fermentation engendre des saveurs plus sucrées que dans une bière normale.

EXEMPLE: LA VIE DE CHÂTEAU

PHOTO IVANOH DEMERS, LA PRESSE

Duchesse de Bourgogne, Verhaeghe (Belgique), 6,2%

PHOTO IVANOH DEMERS, LA PRESSE

La vie de château, Le grimoire (Granby), 7%

FLEURS

Les arômes floraux que l'on retrouve dans une bière peuvent provenir du houblon utilisé ou encore de l'ajout de fleurs au brassin.

EXEMPLE: ROSÉE D'HIBISCUS

FRUITS

Les weizen (bières de blé) allemandes acquièrent des arômes de banane, de poire et de clou de girofle en raison de la levure utilisée.

EXEMPLE: HACKER-PSCHORR

PHOTO IVANOH DEMERS, LA PRESSE

Rosée d'hibiscus, Dieu du ciel ! (Montréal et Saint-Jérôme), 5,9 %

PHOTO IVANOH DEMERS, LA PRESSE

Hacker-Pschorr, Paulaner Brauerai (Allemagne), 5,5 %

Les résultats

Voici l'appréciation des bières dégustées par nos cobayes.

BIEN AIMÉES DE TOUS

Duchesse de Bourgogne, Verhaeghe (Belgique), 6,2 %, 3,75 $/330 ml*

LISE GAUDREAULT : «C'est foncé. Ça ne goûte pas la bière. J'aime ça! Il y a un équilibre. Ce n'est pas une entrée de bière avec des saveurs estompées par une fin de bière qui vient tout écraser. En bouche, c'est fluide, ça se distribue partout, c'est un peu pétillant. Nous avons deux coupes vides!»

Hélène Vachon : «Il y a un petit goût sucré d'érable, on dirait. Il n'y a pas le petit arrière-goût que je n'aime pas. Ça pétille, mais juste pour dire. Ce n'est pas fruité, c'est un petit goût sucré que j'aime.»

Émile Riel-Proulx : «Elle sent un peu comme le vin rouge. Honnêtement, c'est bon. Parce que ça goûte moins la fermentation et le chimique, si je compare avec Molson, Boréale ou Boris. Je retrouve vraiment plus le goût de fruits que j'aime dans les autres alcools, c'est parfait.»

Berliner weisse, Les trois mousquetaires (Brossard), 3 %, 2,99 $/341 ml

Lise : «Elle ne sent pas la bière.»

Hélène : «Moins pétillante. J'aime ça.»

Émile : «Elle est pas mal acide. C'est bon. Elle fait ressortir les saveurs du fromage de chèvre [qui accompagne la dégustation].»

Rosée d'hibiscus, Dieu du ciel ! (Montréal et Saint-Jérôme), 5,9 %, 2,79 $/341 ml

Lise : «Elle ne goûte pas trop la bière, à ma grande surprise. La finale est beaucoup plus douce que les bières que j'ai goûtées. Je ne suis pas sûre que j'en prendrais une au complet, mais je suis très impressionnée.»

Hélène : «Je sens encore la petite odeur qui me déplaît, mais elle est moins forte. J'ai pris deux gorgées. La couleur est différente de ce que l'on a l'habitude de voir.»

Émile : «Je goûte moins le fruité que dans la Duchesse. Il y a vraiment un goût plus léger aussi. Ça pèse moins sur le ventre.»

APPRÉCIATION MITIGÉE

Célébrante, Brasseurs du monde (Saint-Hyacinthe), 7 %, 10,99 $/750 ml

Lise : «Je vois champagne [sur l'étiquette] et j'ai une prédisposition très positive.Oh, que ça sent la bière, ça ! Ce n'est pas bon signe. C'est mieux en bouche qu'au nez. Mais ça finit bière. Au début, on dirait que je vais goûter autre chose et vite, ça prend le dessus et je n'ai pas le temps d'apprécier les autres saveurs.»

Hélène : «Quand je bois, en bouche, je n'aime pas, mais un coup avalé, le goût disparaît quasiment tout de suite. Donc, ce n'est pas si pire. Celle-là, je crois qu'elle serait ma numéro 2.»

Schlenkerla, Brauerei Heller (Allemagne), 5,1 %, 3,90 $/500 ml*

Émile : «Ça sent la fumée. Moi, j'aime bien. Je suis vraiment un amateur de poissons et viandes fumées. Il y a encore l'arrière-goût de fermentation, mais le fumé atténue un peu. Mais je préférais vraiment la Duchesse.»

Lise : «Ça monte ici, on dirait [elle pointe son cerveau]. C'est très puissant. Le nez m'agresse. C'est le fumé, mais on dirait que c'est le fumé noirci dans le fond de la poêle. J'aime le grillé rôti, mais là, j'ai l'impression qu'on a raclé le fond.»

Hélène : «Je sens le saumon fumé. Ça ne fonctionne pas bien avec la bière. Je trouve qu'il y a un petit goût sucré à la fin.»

NON APPRÉCIÉES

Hacker-Pschorr, Paulaner Brauerai (Allemagne), 5,5 %, 3,15 $/500 ml*

Les participantes n'ont pas aimé son odeur de fumée et son côté pétillant en bouche.

Sofie, Goose Island (Chicago), 6,5 %, 9,99 $/765 ml

Lise l'a comparée à un vin de paille. « C'est sur le bord de me faire faire une grimace », a dit Hélène.

La vie de château, Le grimoire (Granby), 7 %, 6,99 $/500 ml

Les participants ont aimé son odeur sucrée, mais moins son goût plutôt amer.

Young's Double Chocolate Stout, Charles Wells (Angleterre), 5,2 %, 4,65 $/500 ml*

Son odeur a évoqué pour l'une le porto, pour l'autre le café. Lise a déploré son côté plat en bouche alors qu'Émile a été déçu du côté chocolaté.

*Ces bières sont offertes à la SAQ.

CONCLUSION

Les participants ont tous bien aimé leur expérience. Ils étaient pourtant loin d'être convaincus que l'on réussirait à leur faire boire et, qui plus est, aimer la bière. Ils ont tous été agréablement surpris par l'étendue des flaveurs de la bière, ce qui était le but de l'exercice.

«J'étais convaincue que ça ne marcherait pas, que j'étais un cas désespéré. Donc, oui, je suis étonnée de voir qu'effectivement, il peut y avoir des goûts si différents dans la bière », résume Lise Gaudreault, visiblement impressionnée par son expérience. « Je vais tester davantage, et je sens qu'avec mon chum, je n'aurai plus le choix!», conclut Hélène Vachon, heureuse de constater qu'elle pourra désormais partager la passion de son conjoint.