Le monde brassicole renoue avec ses racines... féminines. Partout, et particulièrement au Québec, les femmes se font plus nombreuses dans les salles de brassage, ce qui contribue à la multiplication des bières fines.

«La relation entre les femmes et la bière remonte à des milliers d'années. En effet, bien peu d'amateurs le savent, mais des premières civilisations jusqu'au Moyen Âge, ce sont elles qui fabriquaient cette boisson», rappelle Jeannine Marois, directrice générale du Mondial de la bière. Pour elle, il n'y a donc rien d'étonnant à ce que depuis une dizaine d'années, le nombre de maîtres brasseuses ne cesse d'augmenter. «Il s'agit en quelque sorte d'un retour aux sources», dit-elle.

Selon Jeannine Marois, si certains pays, comme le Royaume-Uni, sont moins touchés par cette tendance, le Québec, lui, est un terreau fertile pour les maîtres brasseuses. «Notre province fait figure de pionnière. Ici, cela fait plus de 20 ans que des femmes s'impliquent dans le brassage et la distribution de la bière», souligne-t-elle

Mais comment expliquer cette féminisation des salles de brassage? «Grâce au travail de sensibilisation que font les associations de maîtres brasseuses, comme la Pink Boots Society, les femmes commencent à réaliser qu'elles ont leur place au sein de l'industrie brassicole. Il s'agit bien sûr d'un métier qui peut être très exigeant sur le plan physique, mais être maître brasseuse, ce n'est pas plus difficile qu'être pompière», illustre la directrice générale du Mondial.

S'il semble que la façon de faire des maîtres brasseuses ne diffère pas tant de celle de leurs homologues masculins, leur philosophie n'est pas tout à fait la même. «Les hommes sont plus axés sur la rentabilité et la performance, observe Jeannine Marois. Les femmes, elles, veulent créer des bières fines, qui se rapprochent plus des produits du terroir que des produits de consommation de masse.» Et c'est justement ce que recherchent un nombre croissant d'amateurs... et d'amatrices. Car avec le raffinement des produits, la gent féminine s'intéresse de plus en plus à la bière. «Il n'y a pas si longtemps, les femmes représentaient seulement 25% des buveurs de bière. Lors du dernier Mondial, elles comptaient pour près de 40% des visiteurs!», se réjouit Jeannine Marois, qui souhaite atteindre la parité d'ici quelques années.

Les femmes peuvent-elles faire de l'aussi bonne bière que les hommes? Tout à fait! À l'occasion du Mondial de la bière, qui aura lieu du 8 au 12 juin prochains, La Presse présente des femmes qui ont su se tailler une place dans cet univers masculin qu'est l'industrie brassicole.

La pionnière

Il y a 20 ans, les microbrasseries étaient rares. Aussi rares que les maîtres brasseuses. Lorsqu'elle a fondé la brasserie McAuslan avec son mari, Ellen Bounsall savait donc qu'elle aurait à redoubler d'efforts pour faire reconnaître ses produits. «Ça n'a pas été facile. Pendant sept ans, j'ai dû travailler sept jours sur sept. Je passais tellement de temps à la brasserie que j'y ai fait installer un sofa-lit!», raconte Ellen Bounsall en riant.

Le travail acharné de cette maître brasseuse a porté ses fruits. La St-Ambroise blonde, première bière élaborée par Ellen, a remporté un vif succès dès son lancement. À tel point qu'entre 1989 et 1990, les ventes ont connu une augmentation de 306%. «Malgré tout, je me souviens que certains clients étaient réticents à faire affaire avec une femme. Il a fallu beaucoup de temps avant qu'ils ne comprennent que j'étais aussi compétente qu'un homme», déplore-t-elle. Si, à une époque, certains ont pu douter de ses capacités, aujourd'hui, son talent est salué tant par les critiques que par ses pairs. Elle est d'ailleurs l'une des rares femmes à faire partie de l'Association des maîtres brasseurs des Amériques.

Pourtant, rien ne prédestinait cette titulaire d'un baccalauréat en biologie à devenir l'une des figures les plus influentes de l'industrie brassicole canadienne. «Ouvrir une microbrasserie au Québec, c'était le rêve de mon mari, Peter McAuslan. Moi, ça ne m'intéressait pas du tout, parce qu'au départ, je n'aimais même pas la bière, confesse-t-elle. Heureusement, au fil du temps, mon goût s'est développé et aujourd'hui, ce que j'aime le plus de mon métier, c'est de pouvoir déguster une bonne bière à la fin de la journée!»

Photo: Marco Campanozzi, La Presse

Ellen Bounsall

La gourmande

De la bière, Renée-Claude Beauchemin en mange. Ou plutôt en boit. Ou enfin, les deux, car ce qui passionne cette jolie blonde, maître brasseuse chez Labbatt depuis plus de 10 ans, ce sont les accords bières et mets. «J'entends souvent des gens, particulièrement des femmes, me dire qu'ils n'aiment pas la bière. Pourtant, avec un accord harmonieux avec un plat savoureux, j'arrive à les faire changer d'idée!», affirme-t-elle fièrement. Afin de faire profiter le public de ses connaissances sur le sujet, Renée-Claude Beauchemin a conçu, il y a quelques années, un cours d'initiation sur le mariage des bières et des mets, en collaboration avec l'Académie culinaire. «Pour moi, la bière offre autant de possibilités que le vin. Un sommelier vous dirait sans doute le contraire, mais il est normal que chacun prêche pour sa paroisse, n'est-ce pas?», lance celle qui est aussi l'ancienne directrice de l'Institut des bières de Montréal.

Compétitive, Renée-Claude prêche aussi pour son employeur. «Je ne dis pas que les autres brasseries font de la mauvaise bière, seulement, je préfère les produits Labbatt. D'ailleurs, mes amis et mes proches sont bien avertis: chez moi, c'est de la Labbatt ou rien!», rigole-t-elle. Et si on veut vraiment lui faire plaisir, quelle bière faut-il lui apporter? «C'est une question difficile. En fait, j'ai l'habitude de dire que pour chaque occasion, il y a une bière... et que pour chaque bière, il y a une occasion! Mais j'avoue que j'ai un faible pour la Boddington», répond Renée-Claude entre deux gorgées... de Boddington.

L' apprentie

Enfant, Catherine Dionne-Foster se rendait souvent à la fromagerie Boivin, à La Baie. «Une partie de l'usine est entièrement vitrée. J'adorais regarder les artisans à l'oeuvre. Je crois que c'est là qu'est née ma passion pour l'agroalimentaire», dit-elle.

Après un détour en géologie, Catherine Dionne-Foster a donc décidé de revenir à ses premières amours en fondant une brasserie artisanale à Québec. C'est ainsi qu'en juillet 2010 est née La Korrigane. «J'avais choisi la géologie parce que c'est une profession qui permet de voyager et de relever des défis. Mais je me suis vite lassée de vivre dans mes valises. Lorsque je me suis demandé ce qui me faisait vraiment vibrer, j'ai réalisé que j'avais un intérêt marqué pour tout ce qui touche de près ou de loin à la nourriture», explique-t-elle.

Si la belle Saguenéenne a décidé d'ouvrir une brasserie plutôt qu'un restaurant, c'est à cause de son père, grand amateur de bière. «Mon père a appris à brasser la bière lors d'un voyage en Afrique. Avec les années, il a développé une certaine expertise.» Le papa de Catherine vient d'ailleurs chaque semaine lui donner un coup de main et lui enseigner ses techniques. «Pour l'instant, le véritable maître brasseur, c'est lui. Moi, je ne suis que son apprentie!», dit la jeune femme. D'ici quelques mois toutefois, son mentor profitera d'une retraite bien méritée. «Mon défi sera de faire de l'aussi bonne bière que lui. Mais je suis confiante.» Si son père a su lui transmettre son savoir aussi bien que sa passion, elle n'a effectivement aucune crainte à avoir.

Photo: Ivanoh Demers, La Presse

Renée-Claude Beauchemin