Le pomiculteur Emmanuel Maniadakis doit savourer sa victoire. Pendant des années, on lui a martelé que la culture de pommes sans pesticides synthétiques était impossible au Québec. Aujourd'hui, le verger biologique Maniadakis est le premier membre nord-américain admis à Renaissance des appellations, regroupement composé principalement de vignerons français travaillant en biodynamie. Du même coup, son cidre de glace et son cidre tranquille font leur entrée à la Société des alcools du Québec (SAQ).

«Quand j'ai commencé mon verger, il y a 20 ans, les agronomes me disaient que la production de pommes bios n'était pas faisable. Puis, quand j'ai commencé à faire du cidre, il y a cinq ans, les gens me disaient qu'en travaillant avec les levures indigènes, mon cidre virerait au vinaigre.»

Les cidres Éros - baptisés en l'honneur du fils d'Aphrodite, à qui l'on remit la pomme d'or qui allait déclencher la guerre de Troie - sont produits uniquement avec les pommes biologiques du verger. Plus de 15 variétés, certaines sucrées, d'autres plus acides, se retrouvent dans la bouteille. M. Maniadakis refuse d'acheter des pommes ailleurs pour compléter ou augmenter sa production. «Si on achète de la pomme d'Ontario, qu'on utilise des levures sélectionnées d'Espagne pour la fermentation, comment peut-on dire, après, qu'il s'agit d'un produit du terroir québécois?», lance-t-il.

L'adepte de biodynamie travaille uniquement avec les levures indigènes, puis filtre et sulfite un minimum à la mise en bouteille, pour répondre aux critères de la SAQ. Sa cuvée 2009, encore offerte au verger, est totalement naturelle, sans filtration ni sulfites.

Le «vrai» cidre

Le puriste estime également que le «vrai» cidre de glace est fait par cryoextraction, comme les vins de glace. On laisse les pommes sur les arbres de manière à ce qu'elles gèlent, puis on les récolte pendant l'hiver. Les fruits gelés sont ensuite pressés et fermentés. Emmanuel Maniadakis laisse ses moûts fermenter pendant 12 à 14 mois, puis accorde autant de temps à la stabilisation et à la clarification naturelles du cidre. Au Québec, on produit aussi du cidre de glace par cryoconcentration. Avec cette méthode, on presse les pommes à l'automne et on laisse le jus dehors (ou au congélateur!) afin qu'il gèle.

Le cultivateur n'hésite pas à dire que son perfectionnisme lui a coûté cher. En plus de tout l'équipement qu'il a dû acheter pour produire son cidre, le temps que passe le précieux liquide dans les cuves retarde de deux ans la rentabilité de l'investissement. Heureusement, la cuvée 2010 se trouve maintenant dans la liste des produits courants de la société d'État. La semaine dernière, M. Maniadakis a présenté aussi son produit à ProWein, salon international des vins et spiritueux en Allemagne.

Son acceptation au sein de Renaissance des appellations, qui compte 175 membres (principalement en Europe), devrait aussi lui donner une certaine visibilité et lui permettre de rencontrer des vignerons avec les mêmes préoccupations que lui. Fondé en 2001, le regroupement garantit la pleine expression des appellations et d'un terroir donné. C'est lors de sa visite à Montréal, il y a un an, que le fondateur de Renaissance, Nicolas Joly, a eu un coup de coeur pour Éros. A suivi une année de dégustations et de vérifications par le comité de sélection.

«En Grèce, nous avons une expression qui se traduit à peu près comme ceci: on a beau être la plus belle femme au monde, s'il n'y a personne pour nous regarder, c'est gaspillé.» Il est donc grand temps pour Éros de se faire voir... et boire!

Éros cidre de glace 2010 (code SAQ 11832427), 39,75$ pour 375 ml.

Éros cidre naturellement tranquille (code SAQ 11957060), 20,05$ pour 750 ml.