Quatre entrepreneurs rêvent de relancer l'industrie des spiritueux artisanaux au Québec. Pour ce faire, ils commercialisent une première boisson qui sort de l'ordinaire: du gin aromatisé au panais.

C'est lors d'un voyage à New York en 2009 que Fernando Balthazard, Pascal Gervais et Stéphan Ruffo ont découvert les microdistilleries: des fabricants de spiritueux artisanaux, qui font de la production en petites quantités et dont le goût des boissons n'est pas standardisé. De retour au Québec, les trois copains ont décidé de produire leur propre gin. Mais le projet n'était pas simple à réaliser.

Il a fallu trois années de démarches administratives auprès des différents ordres de gouvernement pour que leur entreprise Les distillateurs subversifs soit autorisée à commencer la production.

Cette attente est loin d'avoir freiné l'ardeur des trois entrepreneurs. Ils en ont profité pour peaufiner leurs connaissances en distillerie en suivant des cours en Californie et à New York. Ils ont trouvé un quatrième partenaire d'affaires pour les aider à financer leur rêve. Ils se sont procuré un alambic en Allemagne et ont mis au point leur recette. Et celle-ci ne manque pas d'originalité.

Un goût unique

«J'ai demandé conseil à mon ami Patrice Fortier, de la Société des plantes de Kamouraska, raconte Stéphan Ruffo. Il m'a suggéré d'ajouter du panais à notre gin. Le soir même, j'ai acheté une bouteille de gin et j'ai fait tremper du panais. Je savais qu'on avait trouvé!»

Si l'ajout d'un légume racine dans du gin semble inusité, pour l'expert des plantes rares Patrice Fortier, ce mélange n'a rien de surprenant.

«J'ai une vision sans ségrégation entre les légumes et les herbes, raconte M. Fortier. C'est pour ça que j'ai pensé au panais. Parce que, pour moi, c'est un légume aromatique.»

Dans le verre, les arômes du panais se marient à merveille aux notes épicées de la baie de genièvre, de la racine d'angélique et de la cardamome. Ils donnent en effet un goût unique à l'alcool.

Cet ingrédient hors du commun n'est pas le seul atout de la nouvelle boisson. Elle est distillée lentement avec une eau de qualité. Stéphan Ruffo garantit qu'avec son produit, les mauvais souvenirs liés au gin seront vite oubliés.

Ultime récompense de leurs efforts, leur gin, nommé Piger Henricus (nom latin du fourneau dont se servaient les alchimistes au Moyen-Âge), arrivera sur les rayons de la Société des alcools (SAQ) l'été prochain. Loin de s'arrêter à ce premier succès, les distillateurs ont déjà de nouveaux projets dans leur alambic: du whisky, du rhum et, pourquoi pas, de l'absinthe.

Microdistilleries au Québec

Piger Henricus est le deuxième gin artisanal produit au Québec, après le gin Ungava du domaine Pinnacle. Stéphan Ruffo et ses associés rêvent qu'ils soient une vingtaine de distillateurs québécois dans les prochaines années.

«La microdistillerie, c'était un acquis au Canada et au Québec, explique-t-il. Il y a 100 ans, il y en avait près de 200 au Canada. Et puis, il y a eu la prohibition et l'arrivée des monopoles.»

Pour encourager le retour des distillateurs, les entrepreneurs sont sur le point de lancer un site internet (www.buvezlocal.com) pour faciliter les demandes de permis auprès des gouvernements. Ils offriront de plus dès l'automne des ateliers de formation sur la distillation.

«On est inondés de demandes de gens qui veulent se lancer dans la microdistillation, dit-il. On veut aider tout le monde.»

Les petites distilleries sont très en vogue aux États-Unis. Le fondateur du regroupement American Distilling Institute, Bill Owens, explique qu'on en comptait une soixantaine au début des années 90. Il en recense aujourd'hui 426. Il ajoute qu'une cinquantaine sont aussi en voie d'obtenir leurs permis de son côté de la frontière.

Au Canada, près d'une trentaine de microdistilleries sont actives. Elles sont surtout établies dans les provinces de l'Ouest.

_____________________________________

On a goûté au Piger Henricus

À l'oeil, c'est un gin classique, de couleur translucide. Dans le verre, ses parfums sont typiques de cet alcool: on sent surtout les baies de genièvre. C'est plutôt par ses saveurs en bouche que ce gin se distingue. C'est très épicé et presque terreux. Puis, le côté sucré du panais arrive rapidement sur les papilles. C'est subtil, très fin, onctueux et les saveurs restent longtemps en bouche. Lorsqu'il est servi frais, on sent peu les 43% d'alcool. Délicieux.

Curieux d'y goûter? Le Piger Henricus est déjà servi dans une dizaine d'établissements à Montréal, dont L'Assommoir, le LAB et Chez Baptiste. On peut aussi s'en procurer en caisse de six bouteilles, au coût de 30$ l'unité, sur le site internet du produit. Enfin, il sera en vente dans le réseau de la SAQ au début de l'été.

Photo fournie par Piger Henricus