Distillée depuis le XVIIIe siècle par d'austères moines vivant retirés du monde, la liqueur de la Chartreuse fait aujourd'hui fureur dans les bars branchés de New York, où elle profite de la vague des cocktails et de l'aide inattendue de Quentin Tarantino.

Robe blanche et barbe hirsute, Frère Jean-Jacques jette un oeil attentif aux grands alambics métallisés alignés dans la distillerie de Voiron (Isère).

Le moine pilote habituellement la fabrication de la liqueur par ordinateur depuis le silence et la solitude de son monastère. Mais, chaque semaine, il doit quitter sa vie contemplative et descendre dans la vallée pour contrôler la qualité de la boisson verte au léger goût de médicament.

Car si la fabrication de cet «élixir de longue vie» a été en partie confiée à des laïcs, sa recette reste l'apanage des moines chartreux, qui la conservent précieusement sur un grimoire aux origines obscures. Et seuls deux d'entre eux maîtrisent le processus de fabrication de cet alcool aux 130 plantes.

«On leur interdit de prendre la voiture ensemble», plaisante Antoine Munoz, directeur général de Chartreuse Diffusion, qui commercialise la boisson.

Avec 1,55 million de bouteilles vendues par an et des exportations en hausse de 10%, le secret des moines chartreux vaut en effet de l'or.

Particulièrement aux États-Unis, où les ventes affichent un bond de 40% sur un an à la fin du mois d'octobre, selon Chartreuse Diffusion.

«C'est arrivé à un tel point que cela bouscule nos prévisions. On a dû faire des heures supplémentaires à l'embouteillage et on est en train d'augmenter sensiblement notre production», explique Antoine Munoz.

Parmi les raisons de cette envolée, le film «Boulevard de la Mort» (2007) de Quentin Tarantino aurait joué un rôle déterminant. Interprétant un barman, le cinéaste y offre une tournée de Chartreuse, qu'il qualifie de «boisson succulente» et de «seule liqueur bonne au point d'avoir donné son nom à une couleur» (un ton à mi-distance entre le jaune et le vert).

«Le film de Tarantino a fait un buzz incroyable, et on n'y est pour rien», remarque, incrédule, Antoine Munoz.

D'autant que cette publicité gratuite est intervenue au moment même où la Chartreuse commençait à reprendre pied outre-Atlantique, où elle avait connu son heure de gloire dans les années 70.

«Étrange breuvage», chantée par le musicien Tom Waits, la boisson des moines s'impose aujourd'hui sur les comptoirs branchés de la côte Est, où sa composition fait la joie des «mixologistes», les inventeurs de cocktails.

«C'est une nouvelle génération de barmen qui s'intéressent non seulement au produit, mais à son histoire», affirme Antoine Munoz.

Le patron de Chartreuse Diffusion se souvient ainsi d'être allé pique-niquer sur les collines boisées jouxtant le monastère de la Grande Chartreuse avec quelques barmen tatoués et percés venus de New York ou de Boston.

«C'est un bel alcool et un excellent ingrédient», approuve Joaquim, le barman du Death & Company, un bar de l'East Village à New York, où chartreuse verte et jaune trônent dans une ambiance digne d'un speakeasy des années 30.

Réaliser des cocktails avec cet alcool aux 130 herbes, «c'est un peu tricher», s'amuse-t-il.

Avec plus de 500 bouteilles vendues par an, le Death and Co. figure parmi des bars écoulant le plus de chartreuse au monde, de même que le PDT Cocktails, lui aussi à New York.

Et fin 2011, les États-Unis étaient en passe de devenir le 2e marché au monde pour la Chartreuse.