Historiquement plus portés sur la bière et l'alcool fort, les Chinois rattrapent à grandes gorgées leur retard en matière de vin, au point qu'un prestigieux concours international de dégustation vient de se tenir pour la première fois en Chine.

Dans l'immense salle d'un luxueux hôtel de Pékin, 330 dégustateurs venus du monde entier testent 9000 crus de 50 pays. Après avoir respiré, goûté puis recraché le breuvage, ils attribuent leurs notes via une tablette tactile.

Objectif de ces juges du 25e Concours mondial de Bruxelles: décerner aux meilleurs vins des médailles (or, argent), dont peuvent ensuite se prévaloir les producteurs en les collant sur leurs bouteilles. Afin d'éviter tout a priori, les bouteilles sont anonymes et enveloppées dans un plastique opaque.

«Pourquoi est-on venus en Chine? Parce que c'est le marché le plus dynamique du monde», s'enthousiasme Baudouin Havaux, le président de la compétition. «En termes de consommation, c'est incroyable, ce pays se développe à une vitesse folle.»

Les Chinois boivent 1,46 milliard de litres de vin par an, soit pratiquement un litre par habitant, selon une étude de Vinexpo, organisateur de salons internationaux. Ils sont au 5e rang mondial, derrière les Américains, les Français, les Italiens et les Allemands.

Mais ce chiffre devrait gonfler de 18,5% d'ici à 2021. La Chine deviendrait alors le 2e consommateur mondial.

«Les Chinois achètent surtout du vin pour l'offrir en cadeau ou pour afficher leur niveau d'éducation et de richesse. Ou pour les bienfaits supposés du vin rouge. Mais un nombre croissant en boivent aussi pour le goût, le plaisir, et la curiosité», explique le dégustateur canadien Jim Boyce, basé en Chine.

«Et puis les gens ont aussi tout simplement davantage de moyens», souligne ce spécialiste du vin chinois, alors que le revenu disponible moyen des Chinois urbains a doublé entre 2009 et 2016.

Riesling et internet

«Il y a cinq ans, le vin était encore un objet de prestige en Chine. Il fallait surtout laisser le prix sur la bouteille pour montrer qu'il est très cher. Mais les jeunes commencent à s'intéresser au produit lui-même», se félicite M. Havaux.

Parmi eux, Kang Yi, une interprète de 30 ans. «J'ai découvert le vin quand j'étais à Paris pour mes études. Surtout le rosé, le champagne et le riesling. À mon retour en Chine, j'ai rejoint un club pour apprendre à déguster des crus», raconte-t-elle.

«Avant, j'achetais du vin pour des dîners entre amis, mais sans vraiment y connaître grand chose», explique Zhou Hewei, une Pékinoise qui travaille dans l'assurance. «Jusqu'au jour où une amie qui a étudié le vin à l'université a ouvert un site internet. Elle écrivait des articles sur les cépages, les terroirs... J'ai appris beaucoup de choses et j'ai commencé à acheter de plus en plus de bouteilles.»

Conséquence de cette passion grandissante: en 2017, la Chine a importé 750 millions de litres de vins étrangers, selon les douanes (+20% sur un an). Leur part de marché atteindrait aujourd'hui les 50% en volume.

«Bluffant»

«La qualité des vins chinois eux-mêmes progresse de façon constante depuis 10 ans», souligne Jim Boyce, qui a goûté plus de 1000 crus made in China depuis 2005.

«Avant, les Chinois ne trouvaient en magasin que des marques chinoises et des Bordeaux. Puis la vente en ligne et les téléphones intelligents sont arrivés. D'un coup, ils ont eu accès à des milliers de références du monde entier. Cela a mis une pression énorme sur les producteurs chinois, jusqu'alors davantage focalisés sur le marketing que sur la qualité. Ils ont été contraints de s'améliorer pour survivre.»

Ces derniers ont dorénavant plus d'expérience, se forment à l'étranger, et disposent de meilleurs équipements. Leurs coûts de production sont cependant alourdis par l'obligation, l'hiver, d'enterrer les vignes afin d'éviter qu'elles ne gèlent.

«Mais beaucoup de domaines viticoles gagnent en qualité et remportent des médailles dans des grandes compétitions», souligne Eva Xie, dégustatrice et critique de vin chinoise.

«En 2017, 30% des vins chinois testés lors du Concours de Bruxelles ont été médaillés. C'est davantage que notre taux de récompense moyen de 25%», souligne Baudouin Havaux. «C'est quand même bluffant».