Organiser des «dégustations» de pesticides pour dénoncer leur présence dans une boisson millénaire aussi symbolique que le vin: depuis 2015, c'est le projet mené par un chef cuisinier bio de Barjac (Gard) et le biologiste Gilles-Éric Séralini.

Dans leur livre Le goût des pesticides dans le vin, publié en janvier chez Actes Sud, le cuisinier et le scientifique détaillent le protocole en trois étapes auquel se sont soumis depuis 2015, plus de 70 professionnels de la gastronomie et du vin dont les grands chefs Marc Veyrat, récent triple étoilé au guide Michelin, et Régis Marcon ou encore le réalisateur de Mondovino Jonathan Nossiter.

Tous ont été invités à goûter des pesticides dilués dans de l'eau aux doses où ils ont été identifiés dans des vins non bio, y compris de grands crus.

«Ce n'était pas évident, il y a une forte résistance psychologique: quand on porte le verre aux lèvres, on a l'image des têtes de mort sur les bidons», témoigne Jérôme Douzelet, qui a corédigé Le goût des pesticides dans le vin.

«On se dit que c'est cinglé alors que quand on achète notre bouteille de vin ou notre sachet de thé rempli de résidus de pesticides, on ne se pose même pas la question», ajoute-t-il.

«C'est le fruit d'années et d'années de marketing de la part des industriels de la chimie qui présentent ces produits comme inertes, éliminés par magie...», assure Jérôme Douzelet, qui dit militer en matière d'alimentation pour «du bon et du sain».

Le livre souligne, à l'instar de plusieurs études d'organisations de défense des consommateurs que la viticulture non bio, dite «conventionnelle», figure parmi les plus gros consommateurs de pesticides au monde et que les teneurs qu'on retrouve dans le vin non bio dépassent les seuils autorisés dans l'eau potable.

«Faire confiance à nos papilles»

«Cette expérience est à notre connaissance la première dans laquelle les humains ont été capables d'identifier les pesticides par le goût», commente le professeur Séralini, spécialiste des OGM et des pesticides, dans une publication scientifique parallèle dans le Food and Nutrition Journal.

«L'idée a germé ici en 2014», explique à l'AFP Jérôme Douzelet, 43 ans, en montrant la vaste salle de pierre de son hôtel-restaurant de Barjac, où il a rencontré le biologiste ainsi que l'essayiste Pierre Rabhi en 2009. «On parlait avec Séralini des "nez" qui repèrent les polluants dans l'air et on s'est demandé si les pesticides avaient du goût, un réflexe normal pour un cuisinier, comme pour tout autre ingrédient».

Un «Petit guide» en fin d'ouvrage retrace le fruit de ces expériences qualifiées d'«actes surréalistes» par Jonathan Nossiter et détaille les sensations provoquées au nez et au palais par 11 pesticides répandus dans les vins (boscalide, glyphosate, fenhexamide ou folpet...): fraise artificielle ou bonbon chimique doucereux, assèchement et amertume...

«Faire à nouveau confiance à nos papilles, c'est toute l'idée du livre», dit M. Douzelet qui avoue vouloir «secouer le cocotier face au lobby des pesticides».

L'ouvrage ne laisse pas indifférent parmi les viticulteurs dit «conventionnels». C'est «un coup de communication qui surfe sur la vague du marketing de la peur par rapport à notre alimentation», estime Delphine Fernandez, viticultrice et co-présidente des Jeunes agriculteurs du Gard, qui fait le parallèle avec les campagnes antivaccins.

«Entre les délais avant récolte et le processus de vinification, les traces de pesticides que l'on pourrait retrouver sur la baie du raisin sont "dégradés"», assure la jeune femme, qui parle de «traitements raisonnés».

En fin d'ouvrage, l'éditeur souligne que les travaux de Gilles-Éric Séralini ont été «l'objet d'attaques de la part de la firme Monsanto, qui est allée jusqu'à obtenir, en novembre 2013, la rétractation de l'étude qu'il avait publiée un an plus tôt sur les effets toxiques du Roundup et d'un maïs OGM».

Actes Sud insiste sur le fait que les études du scientifique ont été depuis «republiées et confirmées» et qu'il a gagné sept procès en diffamation.