«Regardez! Ça c'est dû au gel: la nécrose s'est installée par le haut. Faites attention à ça, il faut couper!», montre Joël Ortiz, conseiller viticole à la chambre d'agriculture en Gironde. Sécateur en main, il coupe les bois «brûlés» par le froid devant une vingtaine de viticulteurs venus apprendre cette taille inédite de la vigne.

Huit mois après le gel qui a frappé dans la nuit du 20 au 21 avril puis du 27 au 28 avril, les séquelles sont encore lourdes, en particulier dans le Bordelais où 80 000 des 114 000 hectares de vignes ont été touchés.

À Escoussans, village de l'Entre-deux-Mers au sud-est de Bordeaux, de nombreux vignerons sont venus chercher des réponses lors de cette démonstration car la taille, de mi-novembre à mars, doit être effectuée de manière bien différente des autres années en raison de cet épisode de gel, qui amputera probablement de moitié la récolte 2017.

«J'avais un peu peur pour l'année prochaine de ne pas avoir assez de raisins. Aujourd'hui, j'ai eu le retour de ceux qui ont connu un épisode de gel similaire en 1991 et, a priori, on ne va pas avoir de problèmes de quantité grâce à une bonne taille pour les récoltes 2018 et 2019», note, rassurée, Mathilde, jeune viticultrice dans une petite propriété à Saint-Germain-de-Grave.

Pour les vignes qui ont complétement gelé, comme en 1991, la taille se fait sans problème, quasiment comme les autres années, en coupant notamment les nouveaux rameaux.

Mais pour celles partiellement gelées, «c'est un vrai casse-tête», se désole André Faugère, du Gaec de Londre, à Escoussans, où se tient l'un de ces ateliers organisés en décembre et janvier par la chambre d'agriculture du département pour optimiser la taille.

Surcoût de main d'oeuvre

«D'habitude, on taille de façon automatique. Mais là, tout le haut du pied a gelé, pas le bas. La végétation est repartie, donnant un aspect buissonnant et du bois de petite taille, ce qui rend l'exécution de la taille difficile», reconnaît-il, avec 65 à 70% de ses 37 hectares de vignes gelées partiellement.

Ce vigneron se voit contraint de laisser davantage de bourgeons sur ces rameaux, ressemblant cette année à une main aux longs doigts tordus. Car au lieu d'avoir une belle branche longiligne, plusieurs ont poussé après le gel.

«Elles sont de qualité plus faibles, donc potentiellement plus fragiles et moins fertiles, c'est pourquoi on les coupe moins court que d'habitude pour laisser davantage de bourgeons», explique David Perrier, conseiller viticole à la chambre d'agriculture.

Sur les vignes blanchies par le froid du matin, il supprime également les baguettes devenues noires à l'intérieur. Cette nécrose l'oblige à tailler au ras du cep le bois mort.

«Dans le Bordelais, la taille de la vigne en Guyot, c'est-à-dire une taille longue, est de mise mais cette année, on alternera entre taille en Guyot et taille courte en cordon lorsque les bois sont trop détériorés», poursuit M. Perrier, qui qualifie cette méthode de «réfléchie, pragmatique».

«Il va falloir se poser la question à chaque pied comme quand on apprend à tailler car chaque pied, traumatisé, réagit différemment à la gelée. Donc, il faut qu'on s'adapte en fonction de sa réaction», renchérit la vigneronne Mathilde, bonnet sur la tête.

Le temps de taille sera par conséquent allongé de 25 à 30%, provoquant un surcoût de main d'oeuvre. Mais pour le conseiller viticole, «une fois la taille passée, on aura tourné la page du gel 2017». Au moins sur le terrain.