Beaucoup d'orge dans les champs, peu de bières sur les tables: tirant parti de ce surplus, la France est devenue le premier exportateur mondial de malt, avec des entreprises qui dominent largement le secteur.

Au coeur du port d'Anvers, la plus grande malterie d'Europe appartient à la coopérative française Axéréal, qui l'approvisionne avec de l'orge venant directement des grandes plaines céréalières du centre de l'Hexagone.

Dans d'immenses silos, les graines d'orge subissent une phase de trempage, avant d'être mises à germer pendant quelques jours, avec une «recette» différente selon le type de bière souhaité. Leur amidon se transforme alors en sucre, qui fournira l'alcool de la future bière. Puis vient la phase du touraillage, un coup d'air très chaud qui stoppe la germination.

La fabrication du malt dure au total une semaine, au cours de laquelle se développent arômes et couleur du grain, qui se refléteront ensuite dans la bière. Les brasseurs mélangeront ces graines germées à de l'eau, et éventuellement à une autre céréale (houblon, riz, blé, millet...).

Chargé sur l'un des cargos amarrés dans le deuxième port d'Europe, le malt prend ensuite la mer vers l'Amérique du Sud, l'Afrique ou l'Asie, où la consommation de bière est en pleine expansion.

Axéréal s'est lancée dans le malt il y a 22 ans en rachetant l'usine française d'Issoudun, dans l'Indre avec comme idée de «sécuriser les débouchés» de ses agriculteurs-adhérents «dans un monde agricole de plus en plus compliqué», explique Jean-François Loiseau, président de la coopérative.

Le tiers des échanges mondiaux

Premier producteur européen d'orge de brasserie (de meilleure qualité que l'orge fourragère utilisée pour nourrir le bétail), la France n'est que le 26e pays consommateur de bière de l'UE, même si la consommation a renoué avec la croissance en 2015, après une trentaine d'années de baisse.

D'où un important surplus exportable, de près de 3 millions de tonnes en 2016/2017, selon les prévisions d'Axéréal.

En outre, la France «est le seul pays au monde à pouvoir produire des orges d'hiver en plus de ceux de printemps», et donc à proposer un éventail plus large de qualités, souligne Jean-François Loiseau.

Résultat: la France exporte 80% de sa production de malt et contribue au tiers des échanges mondiaux.

Depuis les années 2000, les malteurs français ont «accompagné la stratégie d'expansion des grands brasseurs, qui ont incité leurs fournisseurs privilégiés à les suivre, avec à la clé des contrats à long terme», explique Philippe Lehrmann, président des syndicats français Malteurs de France et européen Euromalt.

D'où une «bataille de rachats» d'usines dans les nouvelles zones d'implantation des géants de la bière, le belgo-brésilien AB InBev, le néerlandais Heineken ou le danois Carlsberg.

Pour se rapprocher de ses clients brasseurs, Axéréal a ainsi racheté la malterie d'Anvers, dont le port permet d'exporter vers les pays émergents, et une petite dizaine d'autres en Europe centrale et au Royaume-Uni.

Le métier de malteur change

Le marché mondial du malt croît régulièrement de 2% depuis plusieurs années, au même rythme que celui de la bière. La croissance des volumes se trouve dans l'hémisphère sud (+4/5% par an; +7% en Afrique; +3% en Amérique latine).

Le marché du whisky est également porteur, même s'il ne représente que 5% des débouchés du malt, contre 93% pour la bière.

Quatre groupes français figurent désormais parmi les cinq premiers malteurs mondiaux: le groupe privé familial Soufflet (27 malteries dans 12 pays), Malteurop (filiale de la coopérative française Vivescia), la branche hexagonale du géant agroalimentaire américain Cargill, et Axéréal.

Pour les malteurs, l'un des enjeux est de concocter des malts répondant aux besoins de leurs clients, par exemple pour les brasseurs africains des «malts techniques qui compensent les carences des matières premières locales comme le millet ou le riz», explique Yvan Schaepman, directeur général de Boortmalt, filiale malterie d'Axéréal.

Dans l'hémisphère nord, face à une stagnation des volumes, on est plutôt «dans une logique de valeur, avec des bières premium et artisanales», souligne M. Schaepman.

«Le développement des micro-brasseries change le métier de malteur. Ce sont des clients qui ont besoin de conseils et les malts sont vendus beaucoup plus cher. C'est un segment stratégique sur lequel on investit», même s'il reste encore une niche en termes de volumes, ajoute-t-il.

La Chine, pourtant premier consommateur mondial de bière, n'est pas une cible prioritaire pour les malteurs, car déjà bien pourvue en usines de transformation. En revanche, elle est friande de matière première et a pratiquement doublé sa consommation d'orge brassicole depuis 2012, au profit notamment des grains français.