Le fameux «vin noir» n'était jadis bon qu'à colorer le bordeaux. Mais aujourd'hui, le cahors tutoie les plus grands au prix d'une véritable révolution: le vrac a été largement abandonné, la qualité privilégiée par un passage en fûts ou en jarres, et le cépage malbec, de renommée mondiale, valorisé.

«C'était un vin dégueulasse»: avec sa franchise habituelle, Alain-Dominique Perrin se souvient de l'époque où il est arrivé dans la région de Cahors.

L'homme d'affaires, alors président de Cartier, rachète en 1980 le Château Lagrézette, à Caillac (Lot). «Mais le cahors, c'était de la cochonnerie. Je l'ai dit aux vignerons... Certains me détestent encore», dit-il à l'AFP dans un éclat de rire.

Le «vin noir», ainsi surnommé pour la robe ébène que lui confère son cépage, le malbec, trônait jadis sur les tables de François 1er et du tsar Pierre Le Grand. Mais le bordeaux se met à l'utiliser pour donner un peu de couleur à son «clairet», trop pâle, faisant vite sombrer le cahors dans l'oubli.

Tandis que les bourgogne et bordeaux s'arrachent, les cahors restent désespérément en bas des rayons.

«On a failli disparaître», se souvient Arnaud Bladinières, héritier du château éponyme, à Pescadoires (Lot). «On ne vendait qu'en vrac et à un seul négociant. Puis il n'a plus voulu acheter».

Son père, Serge, l'appelle alors à la rescousse. BTS viticole en poche, Arnaud, aujourd'hui âgé de 33 ans, a fait des stages dans les Côtes-du-Rhônes, le Bordelais et en Australie. En 2005, il revient au «Château Bladinières», qui n'est en fait qu'une ferme vieillotte entourée de quelques hangars et d'un bric-à-brac de palettes de bois.

«On a décidé de vendre en bouteilles et de viser le haut de gamme», explique-t-il. La récompense ne se fait pas attendre: en 2013, une de ses cuvées est élue meilleur haut de gamme des cahors, devant les vins de Lagrézette, qui se vendent jusqu'à 170 euros la bouteille, contre 16 pour le sien.

«Il y a cinq ans, on vendait en vrac à moins d'un euro le litre, contre 1,5 en prix de revient. Aujourd'hui, on écoule tout en bouteilles» se félicite Arnaud Bladinières.

La «cahors (R)évolution»

Julien Ilbert, lui aussi, a dû revenir sauver le domaine familial.

«Le cahors, c'était un cercueil à deux places. On a dû vendre le bois de nos forêts pour survivre», se souvient l'héritier du Château Combel-La-Serre, à St-Vincent Rive d'Olt (Lot).

Julien reprend l'exploitation en 2003. Pour tout révolutionner. «La vigne était alors une activité agricole comme une autre, aux côtés des céréales, des vaches laitières et du gavage. J'ai tout repris à zéro. On a fait venir un oenologue. On a fait de la qualité», raconte l'ancien rugbyman de 35 ans à l'accent rocailleux qui fleure bon le Sud-Ouest.

Aujourd'hui, la moitié de la production est vendue en bouteilles.

«On a tout pour réussir. Le cahors n'a plus rien à faire en bas des rayonnages», assure Julien, un des meilleurs représentants de la nouvelle génération, qui a sauvé l'appellation en privilégiant la qualité.

Jérémy Arnaud, directeur marketing de l'Union interprofessionnelle des vins de Cahors (UIVC), a baptisé cela la «Cahors (R)évolution».

«Dès 2007, on s'est remis en question, notamment en visant l'international». Pour cela, le cahors raccroche le wagon des Argentins, qui ont fait d'énormes investissements pour vendre dans le monde leur malbec. Aujourd'hui, toute la planète vin connaît ce cépage, qui taille des croupières aux bordeaux aux États-Unis.

Le cahors met donc sur son étiquette «Cahors Malbec», ou «French Malbec», et la gloire est au rendez-vous.

«Cahors est un poids»

Mais en se vendant en tant que malbec, certains en ont oublié qu'ils étaient du cahors.

«Je fais du malbec, point. J'avais fait faire une enquête en France sur cahors dans les années 80. Elle a montré que le vin de Cahors n'évoquait rien pour les Français. Et à l'étranger, le mot est imprononçable», explique Alain-Dominique Perrin, qui ne met donc «cahors» qu'en tout petit sur ses bouteilles, et sur les contre-étiquettes.

«Cahors est un poids. La marque est illisible et précédée d'une mauvaise réputation», tranche le visionnaire iconoclaste, qui a été le tout premier à inscrire «malbec» sur ses bouteilles.

«Ça va prendre 25-30 ans pour réparer l'image du cahors. Ne vous emmerdez pas. Mettez Malbec en avant. Ça ira plus vite», assure M. Perrin, 73 ans.

La gloire est à ce prix, estime le révolutionnaire du cahors, dont le château figure dans le Top 100 mondial du magazine américain «Wine Spectator».

Lagrézette devrait ainsi cette année réaliser un chiffre d'affaires de 4 millions d'euros, dont un quart à l'export.

Le retour à l'authentique

Pour autant, «on peut faire des cahors qui se vendent à l'export, sans faire des vins pour l'export, faits pour plaire aux grands critiques comme Robert Parker», assure Emmanuel Rybinski, du Clos Trotteligotte, à Villesèque (Lot).

«Nous, on ne colle pas au goût Parker. On fait vraiment des vins de cahors et j'en suis fier», assène le vigneron de 36 ans, également appelé à la rescousse du domaine familial.

«En pleine crise. On élevait des cochons pour joindre les deux bouts», se souvient-il. Aujourd'hui, son vin, élevé en jarres de terre cuite et vendu 29 euros au maximum, se classe dans les cent meilleurs au monde par le Wine Spectator.

«La recette du cahors authentique a marché», en conclut Emmanuel.

Le guide français Bettane-Desseauve vient de consacrer le cahors vignoble de l'année 2015. Et même l'Américain Parker se met à bien noter les «vrais» cahors: «Parker lui aussi est en train d'évoluer».

«Mais il faudra encore une bonne dizaine d'années pour se retrouver aux côtés des Saint-Emilion et Châteauneuf», avertit Jérémy Arnaud.