Fait rare, quelques centaines de viticulteurs se sont rassemblés vendredi à Villefranche-sur-Saône (Rhône) pour demander aux négociants un juste prix pour l'achat de leur vin, le Beaujolais nouveau, symbole hier de la réussite d'un vignoble qui doit aujourd'hui se réinventer.

Pas de manifestation musclée comme jadis dans le Languedoc, mais une banderole devant la sous-préfecture pour dire que «la sauvegarde des exploitations a un prix»: le monde viticole n'est pas encore au bord de révolte dans le Beaujolais, mais son inquiétude commence à sourdre. Il est venu réclamer un prix des Beaujolais primeurs d'au moins 220 euros l'hectolitre (328 $ CAN).

«Le prix de vente au consommateur ne va pas diminuer et on espère que les prix de vente de notre production resteront les mêmes», mais «on a peur, car certains négociants ont fait des offres à la baisse», s'inquiète Emmanuel Fellot, viticulteur.

Selon des courbes fournies par l'interprofession, les cours ont fortement augmenté entre 2011 et 2012 (de 243 $ CAN les 100 litres pour le Beaujolais nouveau à 330 $ CAN en 2012) en raison d'une gelée hivernale, qui avait nui au bon développement végétal des ceps et donc aux rendements. Ils ont par la suite reculé, revenant à 325 $ CAN l'hectolitre l'an dernier.

En 2015, il se murmure chez les viticulteurs que parmi les quelques grandes maisons qui se partagent le négoce du Beaujolais, certaines ne proposeraient «que» 180 euros (268 $ CAN) pour la production de vins en vrac.

Inacceptable pour les viticulteurs qui en dépit d'un millésime exceptionnel grâce au soleil, devront se contenter d'une petite récolte en raison de la sécheresse.

«Pour que les vignerons puissent vivre et qu'on soit là encore dans 10 ou dans 20 ans, il faut 220 euros (328 $ CAN) à l'hectolitre», avance M. Fellot.

«De l'or sous les pieds»

Vignoble à la réputation internationale grâce au vin nouveau qui arrivera dans un mois et demi, le Beaujolais n'en a pas moins une santé économique fragile. Certaines trésoreries sont exsangues et toute évolution des cours devient source d'inquiétude dans ce vignoble en pleine mutation.

En dix ans, le volume des ventes a été divisé par deux. Le foncier viticole Beaujolais nouveau et villages stagne à des niveaux particulièrement bas (11 000 euros en moyenne l'hectare, soit environ 16 400 $ CAN), à rebours des crus du Beaujolais (90 000 euros/ha par exemple pour Moulin à Vent, ou plus de 134 000 $ CAN). Et la moyenne d'âge des vignerons dépasse les 50 ans.

Parallèlement à la dégradation de l'image du Beaujolais, les crus du nord de l'appellation ont décollé, tant pour ce qui est du prestige que des prix. Conséquence ou symptôme du malaise: une grave crise de gouvernance a secoué le vignoble en début d'année, débouchant sur le divorce entre les crus et les autres appellations.

«Depuis des années, la demande est à la baisse et la vente directe ne s'est pas suffisamment développée. Le Beaujolais nouveau a été un succès planétaire, mais les consommateurs sont passés à autre chose, question d'image et de tendances. Vous pouvez avoir une stabilité des cours en cas de très petite récolte, mais, cette année, la demande est clairement à la baisse. Il faut recommuniquer, réinvestir dans les vins de garde et de terroir, se diversifier sur les appellations pour trouver de nouveaux débouchés, mais c'est un chantier de longue haleine», observe Pierre Gernelle, directeur de la Fédération des négociants-éleveurs de Grande Bourgogne.

Dans les vignes, on est conscient de cette nécessité de rénovation. «Hier, on attendait le courtier en buvant un coup; aujourd'hui, il faut présenter son vin, s'organiser pour avoir une vraie démarche commerciale», remarque Denis Chilliet, secrétaire général de l'Union des vignerons du Beaujolais.

«Il y a des réussites et d'autres qui ont plus de mal, notamment parce que la modernisation demande beaucoup d'investissements», souligne Sébastien Coquard, président de l'Organisme de défense et de gestion (ODG) Beaujolais-Beaujolais Villages.

Celui-ci affiche néanmoins son optimisme: «on a un terroir d'une richesse exceptionnelle. On a de l'or sous les pieds. La question est: comment on se baisse pour le ramasser».