Premiers consommateurs de vin au monde, les États-Unis s'affirment comme un marché aux perspectives de croissance «phénoménales», selon la filière, mais au prix d'une cour assidue, d'une constance, que les exportateurs potentiels, à l'image de la France, n'ont pas toujours assumées.

«We are a young thirsty nation!»(«Nous sommes une jeune nation qui a soif!»), ont clamé à Vinexpo, 1er salon mondial du secteur viti-vinicole, les poids lourds du marché américain, lors de débats qui ont fait rêver plus d'un producteur: 370 millions de caisses bues en 2014 (25% importées), une consommation en hausse non-stop depuis plus de 20 ans et +11% prévus d'ici 2018.

«Songez que nous consommons 370 millions de caisses, or nous ne buvons que 10 litres (par habitant par an). Si un jour nous buvons autant de vin que les Britanniques, le marché américain représentera 740 millions de caisses. Et si nous buvons comme les Français, il sera de 1,6 milliard de caisses...!», projette Mel Dick, vice-président du géant Southern Wine and Spirits of America, premier distributeur, présent dans 35 États américains.

«L'occasion de faire du business avec les États-Unis n'a jamais été meilleure qu'à présent», insiste Dick, à l'heure où s'affirme la soif de 77 millions de «Millennials» (ou «génération Y», née dans les années 1980-2000) «plus instruits, mieux informés, connectés, qui a voyagé, veut boire les saveurs de ces lieux», appuie David Trone, patron de Total Wine and More, réseau de «superstore» de vins dans 18 États, aux près de 8000 références.

Marché changeant

Mais que recherche l'amateur américain? De la qualité abordable. «En grande majorité, il achète en supermarché, n'est pas connaisseur des nuances d'appellations. Il ne pense pas «Toscane» ou «Bordeaux». Il pense 10 dollars ou moins. Donc, sauf si vous êtes un grand immuable, un Lynch-Bages, c'est dans ce créneau que les vins étrangers doivent s'adapter, profil et étiquetage compris, au goût américain. Après cela, on peut raconter l'histoire du vin, sa tradition».

Récemment, les assemblages rouges au fruit prépondérant séduisent, les effervescents aussi.

Dynamique mais capricieux, changeant, le marché américain requiert une constance qui, parfois, a manqué à ses courtisans. «Juste parce qu'on est y présent, ou fort, un jour, on ne peut présumer y être fort le lendemain», décrypte pour l'AFP Tom Matthews, rédacteur en chef du Wine Spectator, magazine «Bible» du vin aux États-Unis.

«Par exemple, quand la demande de la Chine a explosé il y a trois ans, tandis que les É.-U. subissaient la récession, on a vu les Bordeaux quasiment délaisser le marché américain en marketing, en présence. Et ils y ont perdu des consommateurs. Il y avait certes une question de millésime, de prix, mais aussi d'engagement sur le marché».

De fait l'Italie reste premier exportateur en volume, mais c'est les vins du Nouveau Monde, avec l'Australie, l'Argentine, et le Chili qui, à eux trois, pèsent 46% des importations, et les vins locaux, qui ont su le mieux étancher cette soif américaine.

D'abord, vendre une identité 

Le marché américain est aussi complexe. «Ce n'est pas un pays avec une législation sur l'alcool, mais plutôt 50 États avec 50 législations», rappelle David Trone, en référence aux États «secs», «mouillés», «humides» en fonction des restrictions sur la vente d'alcool, les licences octroyées (bières, vins et/ou spiritueux), différant par comtés voire par villes... «sans doute le pire système législatif au monde sur l'alcool, se désole-t-il. Mais il ne changera pas, n'y comptez pas. C'est de la politique».

Autant d'écueils qui requièrent des partenariats forts avec les importateurs locaux, une présence de terrain et une humilité sur sa propre marque, conseillent les opérateurs. «Ne venez pas seuls, mais accompagnés, avec d'autres producteurs, une identité régionale, une "catégorie". Votre marque, on la bâtira ensuite».

Tom Matthews cite l'exemple des vins du Rhône ou des rosés de Provence, qui ont récemment marqué des points aux États-Unis, à travers des campagnes de promotion en tant que région, aisément identifiable, avec une ou deux têtes de gondole.

Car si les «Millennials» assoiffés sont explorateurs, en attente «d'éducation» au vin, résume Helen Mackey, vice-présidente de Chris Steak House, une chaîne de 150 restaurants prisés, «ils ne veulent quand même pas avoir à travailler trop dur...».