Des pieds de vigne plantés à Boulogne-sur-Mer, des vendanges sur un terril près de Béthune... La région Nord-Pas-de-Calais, connue pour sa bière, s'ouvre à la culture du vin, rendue possible par le réchauffement climatique qui risque de bouleverser la cartographie viticole.

«On a les vignes les plus septentrionales de France, ce n'est pas peu de choses!», lance Laurent Wacogne, la poignée de main franche et le verbe fort, en bon homme du Nord.

Ce maître sommelier de 50 ans, qui tient un restaurant sur le front de mer, à Boulogne, a eu un déclic en 2004, lorsqu'il a été invité à l'inauguration de la route du vin dans le Kent, surnommé «le jardin de l'Angleterre».

«S'il y a du vin chez eux, pourquoi pas chez nous», s'est-il dit. Aidé par la mairie, il obtient une parcelle idéalement située, avec vue sur le clocher de la cathédrale Notre-Dame et sur la Manche.

«Notre atout est d'avoir le vignoble face à la mer, avec une parcelle très pentue, comme à Collioure», confie-t-il, en référence au célèbre terroir catalan. «Cet air salin et iodé peut amener un goût et un style différents dans la viticulture», note-t-il.

Il y a quelques semaines, il a respecté l'adage bien connu des vignerons «taille tôt, taille tard, rien ne vaut la taille de mars», en coupant son millier de pieds de chardonnay venus de Bourgogne, avec ses amis bénévoles.

La première vendange du «Vallon de Notre-Dame» est, elle, prévue en octobre 2017. Quelque «90 % des gens croient qu'il n'est pas possible de faire du vin à Boulogne, mais il n'y a pas que le soleil qui fait la vigne!», martèle-t-il.

L'idée de faire du vin à de telles latitudes ne surprend pas Dominique Moncomble, ingénieur agronome, directeur technique au comité champagne.

«Personne ne peut le contester, toutes les aptitudes viticoles remontent avec le changement climatique, le champagne et le rheingau en Allemagne ne sont plus les vignes les plus au Nord», fait remarquer M. Moncomble, qui a notamment bu du vin... danois.

«Quand on prend un degré, on remonte les limites de la vigne de 150 km au nord, la cartographie du vin va changer et c'est passionnant. Il faut essayer, vinifier et goûter ce qu'ont fait toutes les régions viticoles du monde qui progressivement et par empirisme sont arrivées à l'encépagement actuel», ajoute-t-il.

«Maturités complètes»

Un peu plus au sud de la région, le vertigineux terril d'Haillicourt dans l'ex-bassin minier, a, lui, déjà offert à quelques chanceux ses premières bouteilles de «charbonnay» - jeu de mot qui ne demande pas grande explication, le cépage étant là encore du chardonnay.

«On a produit 140 bouteilles en 2013 et 300 bouteilles après les dernières vendanges», dit Olivier Pucek, à l'origine de cet étonnant projet, qui a débuté en mars 2011 avec les premières plantations.

«Je suis surpris par les arômes que peut avoir ce vin», explique à son tour Henri Jammet, viticulteur en Charente, qui conseille ses amis nordistes. «Je ne pensais pas qu'on pouvait avoir des maturités aussi complètes, on a un vin qui a de la charpente et une acidité tout à fait convenable», se félicite-t-il.

Mais comme pour le futur Vallon de Notre-Dame, il n'est pas possible d'acheter ces vins du Nord. «On a créé une association qui s'appelle ''2 bis et Tertous'' qui rassemble les amateurs du charbonnay qui reçoivent une seule bouteille en échange d'une adhésion à 40 euros car nous n'avons pas de titres commerciaux», souligne M. Pucek.

Car ce vin original intrigue. Au bar le Mustang, à Haillicourt, Franck Sénéchal, le patron, reçoit régulièrement des touristes désireux de goûter ce blanc.

«L'autre jour, deux Américains, qui avaient vu un reportage sur ce vin à la télévision, ont voulu m'acheter 400 bouteilles et étaient prêts à mettre un chèque de 16 000 euros sur la table», dit-il. Preuve que le vin produit tout au Nord sur des lieux insolites suscite curiosité et convoitise.