Le champagne de la maison Dom Pérignon, toujours millésimé, jouit d'une excellente réputation, certains y voyant le mythique champagne des champagnes. Or, l'illustre maison vient de lancer un produit encore plus prestigieux, le P2. Explications et dégustation avec Richard Geoffroy, le chef de cave de Dom Pérignon.

P2, c'est le nouveau véhicule de Dom Pérignon pour parler d'un concept qui serait tout à fait unique au prestigieux domaine, c'est-à-dire les «plénitudes» du champagne. «C'est quelque chose de très singulier à Dom Pérignon que de comprendre que le champagne n'évolue pas de manière linéaire, ni même en suivant une courbe régulière, mais par paliers. P2, c'est l'histoire des fenêtres dans la vie d'un champagne, c'est la promesse de rendez-vous successifs d'un même vin», explique M. Geoffroy, bien calé dans la grande banquette circulaire du restaurant Scarlet Exclusive, rue Saint-Paul Ouest.

Plus concrètement, le premier P2 à être mis en marché est millésimé 1998. On peut dire que la première «plénitude» de ce champagne a été atteinte en 2005, lorsque ce millésime est sorti sur le marché. Mais on a réservé une importante proportion du 1998 pour la laisser évoluer sur les lies (ce dépôt de levure qui donne un côté crémeux au vin) jusqu'à ce qu'il atteigne sa deuxième plénitude (P2), après de 12 à 15 ans. Plusieurs bouteilles de 1998 reposent encore sur lies, en attendant la troisième fenêtre du vin (P3), dans 10-15 ans encore.

Après une troisième plénitude, on garde encore du vin. Il continuera à évoluer, mais plus graduellement. «Le dépôt de levure, c'est le plus grand antioxydant qui soit. Ces vins, aussi longtemps qu'ils restent sur les lies, peuvent être là une centaine d'années. C'est une sorte de legacy, un témoignage pour les suivants. Dans 20 ans, ce n'est pas moi qui déciderai de leur sort. Je serai dans les Caraïbes à boire des mojitos!»

Le programme des millésimes anciens de Dom Pérignon a commencé il y a une quinzaine d'années. Il s'appelait OEnothèque. «On a juste inversé la polarité de notre discours. On a mis les plénitudes en majeur parce qu'elles sont plus spécifiques à Dom Pérignon», explique le chef de cave.

Assemblage

Il faut savoir que, chez Dom Pérignon, tous les champagnes sont millésimés. Puis, contrairement à la tendance actuelle d'isoler des terroirs, des parcelles, des barils (dans le milieu des spiritueux), Dom Pérignon se fait une fierté de produire un des vins les plus assemblés du monde.

«Nous sommes dans 16 grands crus et 4 premiers crus en Champagne. C'est un domaine fantastique! On peut assembler une centaine d'éléments de ces 20 crus, trouver une harmonie, avoir cette distribution du poids et du volume, atteindre cette épaisseur de vin qui donne quelque chose d'embrassant en bouche. C'est aussi le yin et le yang du blanc et du noir, l'opposition et la complémentarité du chardonnay et du pinot noir.»

On dit aussi que Dom Pérignon est un vin de bouche, c'est-à-dire qu'il se révèle beaucoup plus au goût qu'au nez, grâce à sa texture exceptionnelle. «Il a une manière de toucher et de caresser la bouche, une manière de glisser. En anglais, on dit seamless. La persistance de ce vin est aromatique, sans amertume ni sécheresse. Pour moi, un vin vrai, c'est un vin qui reste en relation directe avec le fruit de l'origine. Après, les autres dimensions viennent de la levure, qui dialogue avec le fruit.»

S'inspirer ailleurs

Richard Geoffroy est un grand amateur de bière de microbrasserie - le brasseur de la Hill Farmstead Brewery, au Vermont, est l'un de ses amis. Il s'intéresse également aux alcools de microdistillerie, de plus en plus nombreux, au saké et autres boissons exotiques. «Dans ma position, je regarde tout ça. Ce sont des univers qui ont plus de liberté que moi. Chez Dom Pérignon, ce que je fais est très réglementé. Il faut que j'arrive à trouver un peu de stimulation dans ces contraintes qui sont les miennes. La seule excitation que je peux avoir, moi, c'est le millésime! Et maintenant, les plénitudes, qui me permettent de donner une profondeur de champ. La contrainte nous pousse à un dépassement, à un approfondissement.»

En effet, lorsqu'on goûte à ce premier P2, on a l'impression d'un équilibre atteint. C'est à la fois jeune et mûr, léger et crémeux, juteux et dense. On voudra le boire en mangeant des choses aussi variées que des poissons et fruits de mer (huîtres, oursins, scampi, bar, turbot, etc.), des volailles en cari thaï, des noix, des desserts aux notes florales.

«C'est très large comme palette. Ce champagne, c'est comme un grand adolescent de 16 ans avec beaucoup de potentiel», conclut le fier papa de P2.

P2 de Dom Pérignon, 1998, 447$ (12473331)