Sur ce coteau du Beaujolais, les vendangeurs commencent leur travail à cinq heures du matin à la frontale pour préserver la fraîcheur des grappes et obtenir un vin plus fruité.

Les yeux gonflés de sommeil, ils avancent le long des rangs, soulèvent les feuilles et tranchent, d'un geste net, les grappes qui atterrissent dans de larges sauts en plastique - parfois à côté dans la pénombre.

Après avoir préparé un grand jerricane de café, et donné quelques instructions, Anita et André Kuhnel se sont joints à douze Polonais et quelques proches venus donner un coup de main pour vendanger une petite parcelle de Chenas, leur pépite.

«Plus on ramasse le raisin frais, meilleure est la fermentation. Cela permet de garder le fruité des arômes», explique Anita Kuhnel, propriétaire du domaine avec son mari. Le raisin récolté donnera la cuvée Reine de nuit, vendue 10 euros la bouteille, contre six pour leur entrée de gamme.

«Ce terrain est très sablonneux et bien exposé: cela nous préserve des parasites, ce qui permet d'utiliser moins de produits phytosanitaires. Mais on craint le sec, développe la vigneronne aux yeux bleus et cheveux courts. L'après-midi, les raisins sont un peu flétris», poursuit-elle en tendant une grappe. À l'aube, les grains sont gonflés et sucrés à souhait.

Lors de la canicule de 2003, les promesses de qualité exceptionnelle avaient été déçues. En 2009, alors que la canicule revenait, les Kuhnel ont choisi de se lever plus tôt. «Depuis, on a des résultats supers», s'enthousiasme Anita, qui vient de se former au travail de cave.

Pour assurer cette récolte exigeante, les vignerons emploient une équipe de Polonais. «Avant, on avait un groupe de retraités mais petit à petit, l'effectif a fondu», regrette-elle.

À l'aube, on déguste

Le petit groupe de 20 à 50 ans, arrivé la veille après 16 heures de minibus, est enthousiaste. «Je travaille dans une banque: toute l'année en costume-cravate, devant un ordinateur. Ici, c'est les vacances!», s'enthousiasme Thomas, un costaud de 25 ans toujours souriant.

Malgré les 12 degrés ambiants, il parcourt les rangs en t-shirt, une grande hotte en plastique sur le dos. Puis, perché sur une petite échelle, il balance d'un coup de rein ses 80 kg de raisin dans une benne.

Les patrons, eux, naviguent entre vignes et cave. Une mousse rosâtre déborde d'une cuve. Anita peste: il faudra vider quelques centaines de litres. Elle ouvre les autres pour surveiller la fermentation du raisin vendangé en journée. «Celui-là est égrappé. On enlève la rafle, on cherche le contact entre les grains, explique Anita. Ça donne un vin moins acide et plus tannique, mais c'est au détriment du fruit.»

Pour la cuvée Reine de nuit, au contraire, les grappes fermentent entières, selon la méthode du Beaujolais. «On obtient une macération carbonique: dans la cuve fermée, une couche de gaz carbonique protège le raisin du contact avec l'oxygène.»

Le résultat est un Moulin à vent frais, fruité, effectivement peu tannique, qu'on déguste sur le coup de 8h, en regardant le soleil sortir de la brume. C'est l'heure du casse-croûte. Deux tonneaux en bout de parcelle: un pour le vin, l'autre pour le pain, le comté et la charcuterie, dont une terrine de lièvre maison.

Même sans trop pouvoir se parler, tout le monde se comprend. «Anita, best patron», lance Thomas en trinquant. Quelques tartines plus tard, les Polonais discutent, une blonde à casquette relance la musique sur son téléphone. «On veut recommencer à travailler», traduit en anglais Thomas.