Phénomène aujourd'hui marginal à l'échelle du vignoble bordelais comptant quelque 7000 propriétés, l'achat d'une vingtaine de propriétés depuis 2008 par des investisseurs chinois est révélateur d'une tendance qui, selon les experts, devrait s'amplifier.

La première propriété acquise par des capitaux chinois a été le château Latour-Laguens, un Bordeaux supérieur, en août 2008, suivi de deux autres en 2009 et un seul en 2010.

«C'est à partir de ce moment que l'on a commencé à voir beaucoup de Chinois intéressés par des propriétés bordelaises», indique Karin Maxwell, agent immobilier de l'agence spécialisée Maxwell-Storrie-Baynes, pour qui un tournant s'est véritablement opéré en 2011 avec plus d'une dizaine d'acquisitions.

Plus d'une vingtaine de propriétés bordelaises sont d'ores et déjà passées sous la coupe de fortunes chinoises, et ce nombre devrait être porté à 30 fin 2012.

«Une vague aussi soudaine, aussi concentrée dans le temps, avec une même stratégie d'exportation vers un seul pays n'est jamais arrivée dans l'histoire de Bordeaux ni d'aucune communauté viticole», assure César Compadre, journaliste du quotidien Sud Ouest, spécialiste de la viticulture.

Le point commun entre ces acheteurs est la volonté de produire leur propre vin de Bordeaux pour le commercialiser exclusivement en Chine. «Cela leur offre de la crédibilité sur leurs propres vins faits localement», analyse un négociant en vin.

Et sachant qu'une bouteille est valorisée de quatre à sept fois lors de sa revente sur le sol chinois, ces investisseurs avisés éliminent ainsi les intermédiaires.

Acheter une part de l'histoire

Zhang Jinshan, 48 ans, à la tête d'un groupe présent dans la fabrication d'alcool de fruits, est l'un de ces investisseurs.

Il a acheté fin 2011 le château Grand Moueys, dans l'Entre-deux-mers, qui comprend 170 ha dont 55 ha de vignes, et annoncé la création d'une société de négoce pour vendre ses vins. Il compte aussi se concentrer sur le tourisme, avec des chambres d'hôtes pour une clientèle chinoise.

Le plus gros collectionneur de châteaux est le milliardaire de 60 ans Chen Qu (cinq acquisitions connues). Il a fait fortune dans le pétrole, l'immobilier et les parcs à thème (groupe Haichang) et «nourrit désormais de grandes ambitions dans le secteur viticole», fait savoir M. Compadre.

M. Qu organisera du 12 au 15 juillet un salon international du vin dans sa ville natale de Dalian (nord-est de la Chine), et développe sur place selon le journaliste sur place des projets de parc viticole et de village du vin avec en son sein une exploitation viticole.

Ces nouveaux millionnaires voient dans l'achat de propriétés viticoles, comprises entre 2 et 10 millions d'euros, une opportunité de diversification de leurs placements hors de Chine.

Selon Mme Maxwell, ce n'est que le début: «Ils réalisent le rêve d'acheter une part de l'histoire et de la culture française».

L'acheteur chinois est à la recherche d'un terrain dominant ou d'un bâtiment haut avec des tours, d'un château historique avec si possible un nom connu où s'y rapprochant, à l'image de Lafite-Chenu (se rapprochant du célèbre Lafite-Rothschild), ou encore château Richelieu pour la consonance historique.

Pragmatiques, ces millionnaires n'ont pas encore acquis de propriétés classées, plus chères.

Une source locale souligne que «si Bordeaux a toujours un peu été dans des mains étrangères» avec les vagues d'achats d'Irlandais, d'Américains, de Belges ou de Néerlandais, «les ventes de propriétés classées (...) restent dans le milieu bordelo-bordelais».

Pour preuve, les fleurons des vins de Bordeaux que sont Petrus, Cheval Blanc, Ausone, Haut-Brion, Lafite Rothschild, Mouton Rothschild, Margaux, Latour et Yquem dressent, pour  l'heure, tous fièrement un drapeau tricolore.