Les nuits de cette fin d'avril sont chaudes dans les rues de Montréal, mais glaciales dans les campagnes, ce qui force les propriétaires de domaines viticoles à rivaliser d'originalité pour sauver de la mort par «hypothermie » les millions de petits bourgeons qui se sont gonflés hâtivement dans le vignoble.

> En photos: le feu contre le gel dans le vignoble

On se les gèle, la nuit, ces temps-ci. Mais rappelez-vous qu'il y a trois semaines, les terrasses étaient ouvertes et les sandales, sorties du placard.

«Avec la chaleur d'il y a trois semaines, les bourgeons ont commencé à se gonfler. Et avec le froid des nuits passées, il y a danger qu'ils subissent des brûlures», explique l'ex-ministre fédéral Denis Paradis, recyclé en vigneron au Domaine du Ridge, à Saint-Armand, dans les Cantons-de-l'Est.

Ces gels nocturnes qui prévalent depuis quelques jours mettent donc en péril les bourgeons et, par conséquent, la vendange de l'automne prochain dans certains domaines.

Comme quelques confrères, M. Paradis a choisi, au cours des dernières nuits, d'allumer des centaines de petits feux à travers les rangs de vignes, surtout celles où poussent les rouges.

«On a fait plus de 1000 feux hier, et 700 la veille. On fait un petit tas de bûches à tous les 20 pieds, et à toutes les deux rangées, qui font chacune 11 pieds de large. On a fait des tests et on s'est rendu compte que chaque feu réussit à faire monter la température de 2 degrés dans un rayon de 10 pieds», explique M. Paradis, dont le domaine est de bonne taille à l'échelle québécoise, avec 18 hectares.

L'opération est spectaculaire. Voir scintiller ces milliers de petits feux dans la nuit et jusqu'au lever du soleil dans la campagne qui s'enfume doucement donne des images d'une beauté sans nom. Mais ça demande aussi beaucoup de bras. Une dizaine d'employés et une quinzaine de proches et d'amis , précise Denis Paradis.

Selon lui, la température autour des ceps ne doit pas descendre plus bas que deux degrés sous zéro.

«Tour à vent »

Pas bien loin, à Farnham, les trois petits hectares soigneusement cultivés par Michael Marler, au domaine des Pervenches, souffrent aussi du froid. Il utilise cependant une autre technique pour protéger son gagne-pain.

«Nous avons une tour à vent, une hélice sur un poteau de 12 mètres de hauteur. Ça fonctionne avec un moteur au propane V8 et ça couvre tout notre domaine. Si on ne l'avait pas fait tourner la nuit passée (dimanche), il aurait fait moins cinq dans le vignoble. On aurait donc eu un risque élevé de dommages sur les bourgeons gonflés, qui auraient subi des brûlures. Avec l'hélice, le minimum a été de moins 2,8. Normalement, vu l'humidité, on devrait avoir une perte d'environ 2%, mais seulement 5% du vignoble était gonflé déjà. Donc, ça ne sera pas une perte importante», explique-t-il.

Il pratiquait auparavant la technique des feux de bois dans les vignes. La «tour à vent», ou «tour antigel», est aussi utilisée aux domaines de l'Orpailleur, Saint-Jacques, Bresee et Clos Saragnat, notamment.

Michael Marler indique que la crainte du gel printanier revient annuellement, mais jamais comme cette année.

«C'est la première fois qu'il y a une pression de perte comme ça au mois d'avril. Habituellement, c'est entre le 5 et le 25 mai, parce que c'est à cette période que les bourgeons atteignent le stade actuel», dit-il.

L'alternative biologique

Christian Barthomeuf, du Clos Saragnat, croit que la nature est la meilleure protectrice contre ses propres agressions.

Il a une tour à vent, mais la considère inefficace dans la situation actuelle. On peut par exemple vaporiser la vigne avec de l'eau; une couche de givre recouvrira les bourgeons et les protégera. Mais la meilleure solution, c'est de travailler avec des cépages moins hâtifs, comme le vidal et le geseinheim. Le fait de les cultiver en agriculture biologique est aussi protecteur en soi. «En n'utilisant ni engrais ni fertilisants chimiques, nos vignes vivent lentement. Les bourgeons démarrent moins vite et elles ont des racines profondes où le gel printanier ne les affecte pas», expliquet- il. M. Barthomeuf, qui cultive aussi la poire et la pomme il est notamment l'inventeur du cidre de glace , est plus inquiet pour ces cultures.

«Les poiriers étaient en fleurs. Et tout a gelé. Je n'aurai pas de poires cette année», déplore-t-il.

Sur l'autre rive du fleuve, Anthony Carone, du domaine éponyme à Lanoraie, n'est pas convaincu de l'efficacité des feux.

«Vendredi, la plupart des terroirs québécois étaient complètement imbibés d'eau vu la pluie des derniers jours. Cette eau a l'effet d'une bouilloire en réchauffant la vigne au niveau du sol et en empêchant le gel. En allumant des feux, on crée un mouvement d'air vers le haut qui enlève l'humidité du vignoble et facilite l'installation d'air froid au niveau du sol. Au final, le feu aura eu un effet négatif. La meilleure chose à faire, c'est de ne rien faire», croit-il.

Il convient que si la situation perdurait en mai, toutefois, il y aurait un problème.

Il explique qu'il ralentit le gonflage des bourgeons par la taille et le labour tardif des sols autour des vignes.