«Un peu inconsciente», Christine Vernay a lâché en 1996 son poste d'enseignante à l'Ena pour reprendre les vignes familiales. Quinze ans plus tard, au prix d'un apprentissage sans relâche, elle a été élue «personnalité de l'année» par un guide prestigieux.

«Si je devais le refaire, j'aurais peur», sourit la vigneronne de 54 ans, silhouette fine et chevelure opulente, surplombant les parcelles historiques de la famille Vernay sur les hauteurs de Condrieu, fleuron de la vallée du Rhône en blanc.

Rien de plus familier pour elle, pourtant, que ces ceps en terrasse accrochés à des pentes frôlant les 35-40%: enfant, elle en a fait son «terrain de jeu», dévalant la colline avec ses deux frères pour rejoindre la maison parentale.

Mais «jamais» elle n'envisage de reprendre le domaine, d'autant que son père la «protège des travaux dans les vignes», jugés trop durs pour une fille.

Passionnée d'Italie, la jeune universitaire s'installe à Paris, enseigne l'italien en collège puis le français langue étrangère à l'Ena et épouse un pianiste, devenu gérant d'une chaîne de magasins de périnatalité, avec qui elle a deux enfants.

Cette vie urbaine prend fin quand ses parents annoncent, en 1995, leur intention de prendre leur retraite. Elle «n'hésite pas longtemps» et, en l'espace d'un an, dévore les ouvrages sur le vin et organise la transhumance des siens.

«Quand je suis arrivée, j'étais plus angoissée par la partie vinification. Naïvement, je pensais que la vigne poussait plus ou moins toute seule. Or il y a une multitude de choix à faire, et tous les gestes ont une incidence énorme», souligne-t-elle.

Faut-il attacher les ceps ? Sélectionner le végétal ? Enrichir le sol ? Comment tendre vers la culture bio quand les fortes pentes interdisent toute mécanisation, nécessitant en moyenne «un homme à l'hectare» contre «un pour dix hectares» dans un vignoble mécanisé ?

A ces mille réflexions s'ajoute, certaines années, la loterie météorologique: en 2008, une «attaque de pourriture» début septembre oblige à jeter une grande partie des grappes. Et à l'été 2003, perplexe, elle se demande que faire de raisins «confits» par la canicule, optant pour un tri radical.

Par comparaison, elle trouve la vinification «presque simple», d'autant qu'elle s'est forgée très jeune des convictions gustatives: «je n'aime pas les vins «bodybuildés» et trop boisés. Je cherche des choses plus fines, respectueuses du terroir, des vins +ovales+ plutôt que ronds», explique-t-elle.

Au fil des années, l'ex-enseignante poursuit le travail de son père en Condrieu, célèbre pour ses arômes de fruits jaunes et de fleurs, et développe ses propres cuvées en rouge ---Côte-Rôtie et Saint-Joseph---, s'efforçant de «restituer le caractère de la syrah, avec ses côtés poivrés, épicés».

Le Guide Bettane et Desseauve 2012 consacre cette oeuvre en la déclarant «homme de l'année», ce qui la fait sourire, qualifiant le domaine Vernay de «sommet absolu de la qualité», au même rang que la Romanée Conti, Château-d'Yquem ou le champagne Krug.

Touchée par la reconnaissance, la viticultrice ne s'y arrête guère: ses projets ne manquent pas, entre le déboisement d'une nouvelle parcelle qui devrait prendre «dix ans au total» et sa réflexion sur la biodiversité dans ses vignes, où elle se réjouit de voir revenir «papillons et coquelicots».