Coincée entre Bordeaux-la-Prestigieuse et Languedoc-Roussillon-la-Prolifique, la région viticole du Sud-Ouest se retrouve un peu à l'étroit et peine à garder sa place dans le très compétitif monde du vin. Mais de l'adversité est née une nouvelle passion chez les vignerons qui refusent de se plier aux modes et qui défendent grappe par grappe les appellations Cahors et Gaillac. Petite virée dans le triangle Toulouse-Cahors-Albi, au fil de la Garonne, du Lot et du Tarn.

Paisible. C'est le premier mot qui m'est venu en tête.

Le village de Puy-Lévesque et ses environs baignent dans un calme apaisant, résultat de la rencontre entre les vieilles pierres, les champs verdoyants bordés de forêts denses et, tout en bas, au pied du village, le Lot, qui donne à l'ensemble son air de grande peinture classique.

L'hôtel Bellevue, accroché à flanc de falaise au-dessus du Lot, est un peu vieillot et ses nombreux paliers rendent difficile l'accès avec les valises, mais l'endroit est bien tenu, avec plusieurs chambres surplombant la rivière.

Le clou de l'établissement, c'est sa salle à manger moderne offrant une vue splendide sur la région, en plus d'une cuisine soignée et d'une carte bien garnie en vins locaux.

Situé à une bonne centaine de kilomètres au nord-ouest de Toulouse et à moins de 40 kilomètres à l'ouest de la ville de Cahors, Puy-Lévesque est un excellent point de chute pour explorer le vignoble de Cahors et la ville du même nom.

De l'aveu même des responsables locaux du tourisme, le Lot manque de chambres pour touristes et la région vinicole souffre de la concurrence du bordelais au nord et du Languedoc-Roussillon au sud, mais le milieu fait des efforts pour se tailler une place. Ainsi, 53 producteurs du Lot se sont regroupés dans l'organisation «Accueil vignerons» (tourisme-lot.com), un réseau oenotouristique qui a pour mission d'attirer les touristes amateurs de vin dans ce magnifique coin de pays.

Parmi ces producteurs, Jean-Luc Baldès, du Clos Triguedina, une maison bien connue des amateurs de Cahors au Québec, située à Vire-sur-Lot à environ 5 km de Puy-Lévesque (recommandation de notre chauffeur: un appareil GPS pourrait être fort utile pour se retrouver dans la région!).

Jean-Luc Badiès fait des vins équilibrés, généreux sans être lourd ou grossier, avec un cépage qui traîne la réputation d'être râpeux, le malbec. Et il y tient.

Pas question pour M. Baldès d'arracher ses vieilles vignes de malbec pour les remplacer par des cépages «vendeurs», comme le merlot. Pour lui, le malbec, c'est l'âme du Cahors. N'allez surtout pas lui dire que ce cépage donne des vins râpeux, rudes, tout d'un bloc, vous vous exposerez à une réplique polie, mais ferme!

«Le malbec «peut» être râpeux quand on travaille mal ou quand on ne vise que le volume, mais moi, je ne fais pas de vins râpeux! s'emporte M. Baldès. Je travaille par parcelle, je soigne les vignes, je vise la qualité, pas la quantité.»

L'appellation Cahors a été officiellement reconnue en 1971 et les producteurs sérieux de la région rêvent maintenant d'un classement par crus, question de rendre justice aux efforts faits depuis quelques décennies pour hausser la qualité des vins. Selon Jean-Luc Baldès, Cahors mérite cette reconnaissance, mais il admet que le milieu français du vin ne bouge pas très vite...

Clos Triguedina, dont on trouve quatre ou cinq produits à la SAQ, fait aussi des blancs, ce qui étonne dans une région tellement identifiée au rouge. L'assemblage viognier-chardonnay donne des vins agréables, frais et vifs.

On revient résolument en rouge, toutefois, avec le black wine, une rareté d'une autre époque, relancée par Jean-Luc Baldès (aussi disponible à la SAQ: Code SAQ: 10706293, 67,75$). Pour produire ce vin noir, on laisse les raisins mûrir sur la vigne, on les récolte tardivement, et on envoie les raisins chauffer toute une nuit dans un four à pruneaux.

«Attention, on chauffe le raisin, on ne le cuit pas, précise Jean-Luc Badiès. Cela confit légèrement les raisins et donne de la complexité au vin.»

Pourquoi avoir appelé ce vin «black wine», alors que vin noir aurait fait l'affaire?

Il s'agit en fait d'un clin d'oeil historique puisque les Anglais, qui ont un temps occupé la région appelait ainsi ce vin qu'ils transportaient sur le Lot et la Garonne pour ensuite l'expédier par bateaux vers l'Angleterre.

Une invitation à la balade

En circulant dans les vignobles, une envie de sauter sur un vélo surgit tout à coup. Les routes sont calmes, le paysage magnifique, l'accueil irréprochable.

Près du Clos Triguedina, à moins de 20 km au sud-est de Cahors, une autre adresse vaut le détour: Château Haute-Serre, qui offre une table d'hôte magnifique et des dégustations dans un cadre riche. Ici, on affectionne particulièrement les truffes cueillies dans la région, le safran cultivé aussi localement... et les grands cahors.

Château Haute-Serre (dont deux vins sont disponibles à la SAQ) appartient à la famille Vigouroux, très respectée en Cahors, qui possède aussi le Château de Mercuès, un Relais et château situé dans la ville du même nom.

Une curiosité, pour terminer cette virée vinicole autour de Cahors: le Château Caïx, propriété de la reine du Danemark, Margrethe II et de son mari, Henrik (un enfant du pays né Henri de Laborde de Monpezat).

Les gens du Lot sont fiers de l'affection que porte la reine Margrethe II à leur région et affirment qu'on la voit régulièrement faire ses emplettes au grand marché public de Lalbenque.

Prochaine escale: Gailllac

De Cahors, en roulant plein sud, il faut un peu plus de deux heures pour rentrer sur Toulouse.

Mais pourquoi se presser lorsqu'on peut bifurquer vers l'est, du côté de Gaillac afin d'y déguster les vins de la région, puis vers Albi pour saluer la mémoire de Toulouse-Lautrec ou Cordes-sur-Ciel, dont le seul nom donne envie d'y faire escale?

La ville d'Albi vaut vraiment le détour, le bourg de Cordes-sur-Ciel aussi, mais d'abord, arrêt à Castelnau de Montmiral, en Gaillac (GPS, un must!!!), au domaine de la famille Plageoles, installée sur ces terres depuis 1805.

Ce superbe domaine est plus qu'un vignoble, c'est un musée et un laboratoire consacrés aux cépages de Gaillac, à leur renaissance et à leur préservation.

Florent Plageoles, la vingtaine, septième génération de Plageoles ici, n'était pas peu fier de nous faire déguster les vins exceptionnels du domaine, de nous expliquer la philosophie de la maison.

On cultivait déjà la vigne sur ces terres il y a 2000 ans et l'aïeul Plageoles a décidé il y a plus de 20 ans de retracer les cépages d'origine.

Robert Plageoles a passé le flambeau au père de Florent, Bernard, mais il vit toujours sur ses terres. Sa philosophie aussi est bien vivante, comme en témoigne l'impressionnante gamme de vins produits ici avec des cépages Gaillacois, en rouge, en blanc, en mousseux, en liquoreux. Pas de rosé. En fait, oui, un peu, une seule barrique parce que grand-papa Robert aime bien en boire à l'apéro. C'est le seul compromis que fera la famille.

Le domaine Plageoles multiplie les vins faits à partir de cépages locaux pour redonner ses lettres de noblesse à Gaillac. Tant pis si ce n'est pas payant, tant pis si les voisins les traitent de fous!

La dégustation est concluante. Ce domaine produit des vins typiques avec des cépages dont vous n'avez jamais entendu parler: Ondenc blanc, Mauzac vert, mauzac roux, mauzac noir, mauzac rose, verdanel, loin de l'oeil, Braucol ou côt à queue rouge, qui donne un rouge unique, dense et riche, le prunelart.

Comme on ne trouve qu'un seul vin de Plageoles à la SAQ (le vin D'autan, blanc liquoreux, 66$), vous devrez vous rendre sur place pour avoir droit à la gamme complète... et à une conversation passionnée avec un des Plageoles.

Détours obligatoires: Albi et Cordes-sur-Ciel

«Cordes-sur-ciel», il n'y a qu'en France qu'on trouve, en sillonnant les vastes campagnes, des villages aux noms si pittoresques. Ce bourg gothique du XIIIe siècle perché en haut d'une butte est aussi joli que le nom qu'il porte et vaut bien une escale de quelques heures. Une nuit, c'est encore mieux, puisque cela permet, au matin, en redescendant dans la vallée, de voir le village émergeant des nuages. Cette scène saisissante a donné le nom de Cordes-sur-Ciel à cet endroit peuplé d'artisans.

À environ 25 km de Cordes-sur-Ciel, un autre «must», Albi, cité épiscopale inscrite au Patrimoine mondial de l'humanité de l'UNESCO.

On l'appelle «Albi la pourpre» en raison de la couleur caractéristique des briques des maisons et monuments érigés le long du Tarn, dont l'imposante Sainte-Cécile, la plus grande cathédrale en terre cuite au monde. On jauge mieux l'importance de cet immense bâtiment, à la fois cathédrale et forteresse, en faisant une promenade en péniche.

Sainte-Cécile renferme par ailleurs la plus grande surface de peintures murales en Europe. Une visite guidée s'impose, ne serait-ce que pour voir les six peintures murales représentant, avec force détails, les péchés capitaux. Il en manque un, direz-vous. En effet, mais comme il a fallu un jour agrandir la cathédrale, on a sacrifié le mur de la «Paresse» pour faire de l'espace.

À quelques pas de Saint-Cécile, on change de genre et d'époque, en entrant dans le musée Toulouse-Lautrec, qui renferme la plus grande collection (plus de 1000 oeuvres) du peintre natif d'Albi.

À la mort d'Henri de Toulouse-Lautrec, Paris n'a pas voulu de ses oeuvres, qui sont donc revenues à Albi, en bordure du Tarn, là où il avait peint ses premiers tableaux. Les Albigeois en sont très reconnaissants aux Parisiens.

Les frais de voyage de ce reportage ont été payés par Atout France.

Cépages principaux:

Gaillac: duras, braucol et syrah en rouge; Len de l'el et mauzac en blanc

Cahors: malbec (ou cot) en rouge

À essayer

Château Lecusse Cuvée Spéciale Gaillac 2007, Clos Triguedina Cahors 2004 et The New Black Wine Clos Triguedina Cahors 2008