Vins «nature », cépages spécifiquement siciliens ou chiliens, terroirs redécouverts... Loin d'être figé dans ses traditions, le monde du vin repousse constamment ses frontières. Pour le plus grand plaisir des amateurs de découvertes. Que boiront les audacieux cet automne? Cinq experts du vin se prononcent.

Les sommeliers, conseillers, critiques, importateurs et autres spécialistes sont unanimes: jamais nous n'avons eu accès à autant de vins intéressants, différents, amusants au Québec, tant à la SAQ qu'en importation privée.

«L'équilibre est en train de se créer entre les gros vins industriels qui tachent ou qui sont pleins de levures sélectionnées et ceux, dits "nature", qui sont pleins de défauts insupportables. On arrive enfin à un juste milieu», affirme Nadia Fournier, auteure duGuide du vin Phaneuf.

Pour mieux connaître les «nouvelles frontières» du vin, savoir ce qu'on devrait verser dans son verre cet automne, nous avons interrogé cinq professionnels de la dive bouteille. Ils nous ont parlé d'une tendance, d'un coup de coeur, d'un thème qui les faisait vibrer dans leur domaine par les temps qui courent.

De cépages bâtards à vignes vedettes

Nadia Fournier, auteure du Guide du vin Phaneuf et chroniqueuse sur chacunsonvin.com

«C'est sûr qu'à vin commercial pour vin commercial, n'importe lequel des petits cépages méconnus de Grèce, de Turquie, voire de Bulgarie sera moins banal qu'un merlot ou qu'un pinot grigio!», lance celle qui signe le Guide Phaneuf depuis quelques années. Refosco, teroldego, xinomavro, frappato, viura, altesse... tant de choix pour changer des chardonnay, sauvignon blanc, cabernet, etc.

La semaine dernière, à l'invitation de l'agence réZin, journalistes et sommeliers goûtaient justement aux nouvelles cuvées de pais de Louis-Antoine Luyt, grand défenseur et vinificateur de ce vieux cépage chilien longtemps snobé. Aujourd'hui, même de grosses maisons comme Miguel Torres et Concha y Toro s'y intéressent.

Et pourquoi ne pas découvrir le teroldego, un raisin du Trentin que la vigneronne Elisabetta Foradori a remis sur les écrans radars? «Aujourd'hui, personne ne lèverait le nez sur son Granato, qui est un grand vin», déclare Nadia Fournier. Que dire du trousseau, l'un des trois cépages noirs du Jura? Au Portugal, on l'appelle Bastardo! «C'est sûr qu'entre les mains d'un vigneron médiocre, n'importe quel cépage donnera un vin médiocre. Certains raisins sont plus fragiles ou difficiles à travailler que d'autres. Mais les vrais bons vinificateurs savent les mettre en valeur», conclut Mme Fournier.

> Sa suggestion : Foradori Granato 2010 (rouge), 67,75$ (12162120)



«Le teroldego s'exprime ici avec une concentration nettement supérieure à la moyenne régionale, avec une couleur sombre et des saveurs compactes et vibrantes de cerise noire, sur une trame tannique veloutée», note Nadia Fournier.

Régions passion 

Charles Tarzi, sommelier au Grumman, responsable des «liquides» au Majestique et au Damas

Le jeune et allumé sommelier est présentement épris de deux belles régions vinicoles qui produisent des vins particulièrement surprenants et variés: le Jura et la Sicile.

Nous connaissons surtout les blancs (et les jaunes!) du Jura. L'amateur de Bourgognes qu'est Charles Tarzi a commencé par le chardonnay et le savagnin de cette région moins connue de France. Puis il a découvert les rouges, plus rares et mystérieux, mais toujours abordables, surtout lorsqu'on les compare aux vins de Bourgogne, de plus en plus chers. De plus, «le Jura est plein de petits vignerons qui travaillent souvent assez naturellement», explique-t-il. Pinot noir, trousseau et poulsard sont les trois cépages jurassiens servant à élaborer les vins rouges, qui affichent généralement des taux d'alcool assez bas. «Chez Grumman, on utilise pas mal les pickles en cuisine et les arômes fermentaires de ces rouges marchent vraiment bien en accord.»

De la Sicile, Charles Tarzi apprécie beaucoup la diversité. Selon la région et les vignerons, les cépages et les expressions de terroir sont très différents les uns des autres. «Dans l'Etna, par exemple, il y a des styles plus traditionnels, comme celui de Calabretta (en importation privée chez OEnopole), à l'ancienne. Puis il y a des gens qui travaillent sur la corde raide, comme Frank Cornelissen (en importation privée chez Glou), en agriculture «sauvage» à la Masanobu Fukuoka. Près de Vittoria, COS et Arianna Occhipinti (SAQ et importation privée chez OEnopole) travaillent dans la pureté.

«Ces vins ont leur place sur la carte du Damas. Ce sont de beaux vins automnaux, plus terreux et rustiques, qui marchent bien avec des légumes grillés, par exemple.»



Ses suggestions : 

> Domaine André et Mireille Tissot, Crémant du Jura brut, 25,60$ (11456492)

> Occhipinti SP68 rouge, 2013, 28,45$ (11811765)

«C'est un vin qui est approchable, avec une bulle précise, dans lequel on retrouve les arômes de brioche et de pâtisserie typiques de la méthode traditionnelle», dit Charles Tarzi.



Gamay mal aimé


Michel Beauchamp, conseiller, SAQ Beaubien

À Montréal, dans les cercles d'initiés, «beaujo» rime avec bonheur. Mais parlez de Beaujolais à des acheteurs de vins de Bordeaux d'un certain âge et vous aurez l'impression de leur avoir transmis la lèpre! Pourtant, il existe 10 crus dans le Beaujolais. «Il y a les plus tendres: Chiroubles, Fleury, Saint-Amour, Brouilly. Puis des cuvées plus structurées: Chénas, Morgon, Moulin-à-Vent, Régnié. Certains vignerons font des tests en fûts de chêne, qui donnent au gamay des airs de pinot bourguignon (par exemple, le Château du Moulin-à-vent Croix des Vérillats 2011, 33,25$, 12 236 846).»

Bref, le spectre est large. On peut facilement boire un beaujo plus tendre à l'apéro, puis passer à table avec un cru plus structuré. «Beaucoup de gens ont été marqués par les Brouilly insipides des années 70 et ne veulent pas entendre parler du gamay et de l'esthétique plus légère du Beaujolais. Mais les rouges légers, qui ressemblent à du vin et non à du dessert, sont à réapprivoiser et à prendre au sérieux.»

Michel Beauchamp s'inscrit un peu en faux contre la tendance à faire vieillir certains Beaujolais. «J'ai participé à des événements avec quelques vignerons qui sont toujours fiers de nous montrer que certains de leurs produits ont bien vieilli. Mais je ne pense pas que ça ait vraiment un intérêt. Parfois c'est bon, mais souvent, le vin est mort. Je pense que c'est un vin qui est plus intéressant à boire en jeunesse, dans les trois ans disons. C'est là qu'on retrouve l'expression du fruit frais qui est si délicieux», conclut-il.

> Sa suggestion : Domaine Laurent Martray Brouilly vieilles vignes 2012, 20,30$ (10837373)

«Il y a dans le verre quelque chose de pur. On sent que rien n'a été forcé dans l'élaboration de ce vin, qui est construit autour d'une acidité noble, fraîche et désaltérante. Ça goûte les petits fruits rouges, avec dominance de cerise. Le bouquet est également hyper floral et envoûtant, avec des arômes de pivoine et de violette», raconte Michel Beauchamp.

Audacieux agents

Nicolas Charron-Boucher, sommelier au Bouillon Bilk

«On parle beaucoup des sommeliers depuis quelques années, et on nous accorde trop de mérite pour un travail qui est fait en amont de nous, par les agences de représentation de vin», déclare Nicolas Charron-Boucher. Avant de se retrouver dans les restaurants et sur les tablettes de la SAQ, les belles bouteilles que nous découvrons ont d'abord été sélectionnées par un agent, qui a pris des risques financiers pour nous offrir un produit original. «Le modèle a changé. Avant, il y avait surtout de grosses boîtes d'importation avec de gros moyens qui faisaient entrer des vins en quantité ridicule. Aujourd'hui, le marché s'est morcelé. Plusieurs petites agences, comme Ward et associés, Glou, Vin libre, Primavin, etc., nous ramènent de super beaux jus dont la planète vin parle beaucoup. Pour moi, c'est essentiel de travailler avec des gens comme ça. Ça m'évite d'avoir à faire plein de recherches. Les agents viennent à moi, ils connaissent le produit et ne me le vendent pas si ça n'a pas bon goût.» Les agences, comme réZin et OEnopole, font un autre travail important avec les petits vignerons, en leur expliquant comment mieux «préparer» leurs vins pour qu'ils voyagent bien jusque chez nous! «Ça nous permet d'avoir de bons trucs sur nos tables et, éventuellement, sur les tablettes de la SAQ, qui s'ouvre de plus en plus aux expressions différentes.»

Plus de blancs, svp!

Francis Arkinson, sommelier au restaurant H4C et consultant

Le rêve de Francis Arkinson? Monter une carte composée à 75% de vins blancs et à 25% de vins rouges. «Tant à la maison qu'au restaurant, la cuisine du moment appelle beaucoup plus le blanc que le rouge. Les chefs cherchent à révéler la fraîcheur des produits. Ils travaillent beaucoup avec l'acidité. Les légumes et les produits de la mer prennent plus de place dans l'assiette. Ça ne marche pas avec le vin rouge.»

Mais les clients, eux, réclament toujours beaucoup de vin rouge. «La tendance au pinot noir est soutenue par le fait que les gens veulent du rouge sur un plat qui réclame du blanc, croit le sommelier. Pour bien des gens, le blanc, c'est l'apéro, un peu comme une bière.»

Le meilleur pari, pour initier les buveurs de rouge au blanc? «Il faut trouver des vins qui ont de l'équilibre, un certain gras, sans tomber dans le "guidounage" du gros boisé.»

D'un point de vue qualitatif, les meilleures options sont en importation privée, croit Francis Arkinson. Le choix de blancs à la SAQ reste moins intéressant que la sélection de rouges. «Les gens, réveillez-vous sur le blanc!», lance-t-il en fin de discussion.

> Sa suggestion : Le Rocher des violettes La Négrette 2012, 27,65$ (11909800)

«Le chenin blanc de la Loire est un excellent cépage pour apprivoiser le blanc. Ce vin est très polyvalent à table. Il a une belle profondeur minérale, avec un peu de bois aussi», dit Francis Arkinson.