Le procès de Rudy Kurniawan, un temps considéré comme l'un des plus grands experts en vins rares, s'est ouvert lundi à New York où il est accusé d'avoir fabriqué et vendu des centaines de bouteilles de grands crus contrefaits.

La matinée a été entièrement consacrée à la sélection des 12 jurés qui vont devoir décider s'il est coupable ou non, à l'issue du procès prévu pour durer deux semaines au tribunal fédéral de Manhattan.

Rudy Kurniawan, 37 ans, né en Indonésie, et qui jusqu'à l'an dernier menait la grande vie en Californie, était présent dans la salle d'audience: costume gris clair impeccable, chemise blanche et cravate bleue à rayures, très amaigri, son visage poupin caché par de grosses lunettes, il a suivi intensément la sélection des jurés, assis à côté de ses deux avocats.

Il avait jusqu'à son arrestation l'an dernier connu en quelques années une ascension fulgurante dans le petit monde des vins rares, brassant chaque année des millions de dollars, avant sa chute tout aussi spectaculaire.

Il affirmait, a rappelé le juge Richard Berman lundi qu'«il avait l'un des meilleurs palais au monde» pour reconnaître les vins. Ce que les experts lui reconnaissaient d'ailleurs volontiers au temps de sa splendeur.

Kurniawan, «nie les charges» retenues contre lui et estime être «devenu le bouc émissaire» de ce petit monde des vins rares et chers, a également déclaré le juge aux jurés potentiels.

Le début des plaidoiries était attendu lundi après-midi.

Inculpé de fraude visant à vendre des vins contrefaits et de fraude financière, Kurniawan risque jusqu'à 40 ans de prison.

La question de complicités éventuelles ne pourra pas être éludée durant ce procès.

«Qui a fait de l'argent avec ça?» a ainsi déclaré lundi à l'AFP Maureen Downey, une experte en vins, qui «depuis des années» avait de gros doutes sur les vins proposés par Kurniawan, qui se présentait comme un amateur, plutôt qu'un vendeur.

Elle a souligné notamment que Kurniawan avait des relations privilégiées avec une maison d'enchères new-yorkaise, «devenue numéro 1» selon elle grâce aux vins qu'il lui procurait.

Surnommé «Dr Conti»

Kurniawan, qui fabriquait lui-même certains des vins contrefaits, est notamment accusé d'avoir essayé de vendre aux enchères à New York en avril 2008 un lot de 97 bouteilles de Bourgogne du Domaine Ponsot, estimé à entre 440 000 et 602 000 dollars, pour la plupart fausses.

L'une des bouteilles était datée de 1929, quand le domaine n'a commencé la mise en bouteille qu'en 1934.

La vente avait été suspendue à la dernière minute, à la demande express du responsable du domaine Laurent Ponsot.

M. Ponsot devrait témoigner lors du procès, ainsi que deux autres représentants de grands domaines français, Laurent Roumier et Aubert de Villaine, victimes de contrefaçons.

Kurniawan est aussi accusé d'avoir vendu des vins contrefaits lors de deux ventes aux enchères en 2006 à New York, qui avait engrangé 10,6 millions et 24,7 millions de dollars, un record. Un collectionneur y avait notamment acheté une prétendue bouteille de Romanée-Conti 1934 pour 12 925 $.

Dans sa maison d'Arcadia en Californie, les enquêteurs ont retrouvé un véritable laboratoire de contrefaçon de vins, avec vieilles bouteilles, étiquettes, bouchons, colle, capsules...

Kurniawan «mélangeait des vins moins chers, afin qu'ils imitent le goût, la couleur et le caractère de vins rares beaucoup plus chers», indique l'acte d'accusation.

Il versait ensuite ses créations dans des bouteilles vides anciennes, envoyées d'un restaurant new-yorkais où il organisait de somptueuses dégustations pour les experts et collectionneurs.

Il scellait ensuite ses bouteilles et y apposait de fausses étiquettes.

Il vendait ces bouteilles contrefaites souvent avec de vraies bouteilles de grands crus, ce qui lui permettait de dire, si les vins contrefaits étaient découverts, qu'il s'agissait de bouteilles anciennes ayant eu un problème, selon l'accusation.

Kurniawan, d'une générosité sans limites, surnommé «Dr Conti» en raison de sa passion pour le Romanée Conti, vivait illégalement aux États-Unis depuis 2003, après le rejet d'une demande d'asile.

Il y menait la grande vie, dépensant des millions chaque année en vins, vêtements, bijoux, et voyages, collectionnant les montres de luxe, les voitures et les oeuvres d'art.

Il affirmait être soutenu par une famille richissime en Indonésie, mais de fait empruntait massivement : plus de 11 millions de dollars en 2007 seulement, dont trois millions n'ont jamais été remboursés selon l'accusation.