Réputés pour leur finesse en Allemagne, les vins de la vallée de la Moselle sont méconnus en France, où ce petit vignoble chargé d'histoire vit pourtant une renaissance, après avoir été longtemps délaissé aux grandes heures de la sidérurgie.

À 33 ans, Eve Maurice, exploitante de 4 hectares et demi de vignes plantées sur des coteaux d'Ancy-sur-Moselle près de Metz, incarne ce renouveau. Elle est convaincue qu'il y a une carte à jouer avec «ces sols calcaires qui ont du caractère».

«On part de pas grand-chose parce qu'il y a une génération où les transmissions s'étaient arrêtées. On redécouvre, on teste, comme des pionniers», explique la jeune femme, qui a professionnalisé l'exploitation familiale depuis qu'elle en a pris la tête en 2008.

L'auxerrois est le cépage blanc emblématique de la Moselle française, dont il est originaire, contrairement à ce que son nom laisserait penser. Les autres principaux cépages sont le pinot gris et le pinot noir.

Cultivés depuis les Romains, les vins de Moselle formaient un vignoble très important en France, de plus de 30 000 hectares au début du 19e siècle. Mais sa taille s'est effondrée à partir de la seconde moitié du siècle, devant les coups de butoir du phylloxéra, de l'industrialisation croissante de la région, puis de la concurrence des vins du Midi.

Car dans les années 1920, au lendemain du retour dans le giron français de l'Alsace-Moselle (1871-1918), «les Mosellans avaient soif de ''vins patriotiques'' issus notamment du sud de la France, qui n'étaient plus taxés comme du temps de l'annexion» allemande, explique Maxime Bucciarelli, oenologue amateur et auteur d'un livre sur l'histoire des vins de Moselle paru en 2006.

Et comme après le départ des Allemands «il y avait plein de places à prendre dans l'administration et les usines», les Mosellans ont logiquement abandonné le travail de la vigne, «à l'époque très ingrat et mal rémunéré», ajoute M. Bucciarelli. Si bien qu'au début des années 1980 il ne restait plus qu'une dizaine d'hectares de vignes cultivées dans le département.

Route des vins et groupement européen

La vigne a ensuite lentement repris pied, parallèlement au déclin de la sidérurgie lorraine. Elle s'étend aujourd'hui sur 65 hectares dans le département, dont 55 ont obtenu en 2011 le sésame de l'appellation d'origine contrôlée (AOC), la plus septentrionale de France. «L'objectif est de doubler les parcelles AOC d'ici 2020», déclare Jean-Marie Leisen, président de l'organisme de gestion et de défense (ODG) des viticulteurs de Moselle.

Le conseil général a inauguré fin août 25 km de route des vins départementale près de Metz, après un premier tronçon de 18 km établi l'an dernier autour de Sierck-les-Bains, près du Luxembourg et de l'Allemagne.

Un coup de pouce salué par la petite vingtaine de viticulteurs AOC de Moselle. «Il y a un énorme travail à faire pour se faire connaître, ne serait-ce qu'auprès des Mosellans eux-mêmes, qui ont beaucoup de préjugés sur leur vin», note Eve Maurice.

Certains restaurateurs vont ainsi jusqu'à servir ses vins à l'aveugle, attendant que les clients les apprécient pour leur révéler leur origine, se désole-t-elle.

Pour s'ouvrir à l'étranger, les viticulteurs mosellans ainsi que leurs confrères des Côtes de Toul peuvent aussi compter sur «Terroir Moselle», un groupement européen d'intérêt économique (GEIE) créé en mai par la France, l'Allemagne et le Luxembourg pour promouvoir à l'international les vins de la vallée mosellane, avec notamment la participation commune de vignerons des trois pays à des salons viticoles.

Avec près de 2700 vignerons cultivant 8700 hectares de vignes de la frontière franco-luxembourgeoise à Coblence, où la Moselle rejoint le Rhin, l'Allemagne domine outrageusement la viticulture de la vallée. Ses Riesling, caractérisés par une faible teneur en alcool, mais des notes très fruitées et une haute acidité, s'exportent dans le monde entier. Et valent parfois des fortunes: une bouteille de sélection de grains nobles du domaine Scharzhofberg d'Egon Müller à Wiltingen, près de Trèves, peut atteindre jusqu'à 6000 euros. En Moselle française, «on a encore de quoi faire!» ironise M. Bucciarelli.