En prévision des Fêtes, nous sommes allés à la rencontre des producteurs de prosecco - un mousseux frais, facile à boire et vendu à un prix souvent dérisoire. Dans le nord de l'Italie, on en boit comme de l'eau. Et ses viticulteurs - qui redécouvrent les méthodes ancestrales - se taillent une réputation de plus en plus enviable. Ne cherchez plus comment accompagner votre panettone...

Lorsqu'il n'enfourche pas son vélo à travers les collines de Vénétie, Ivan Geronazzo court. Sur des distances phénoménales. Dans sa fermette, des trophées en témoignent. Le viticulteur a déjà parcouru 125 km d'une traite - soit grosso modo trois marathons à la chaîne. Il faut dire que le paysage de la région n'est pas monotone: des montagnes aux pics enneigés, un clocher pointu comme une aiguille, des maisonnettes entourées de rosiers et de conifères.

Mais le quadragénaire italien n'a surtout pas le choix d'entretenir son endurance. Dans son village de Valdobbiadene, à 70 km de Venise, la culture et la récolte du raisin se font manuellement, selon des méthodes artisanales extrêmement exigeantes.

Debout au milieu de ses vignes dégarnies par le froid, il raconte comment, à l'époque des vendanges, tous les membres de sa famille dorment à peine trois heures par nuit. Ils ont 10 jours pour cueillir des centaines de grappes juteuses sur les 7 hectares escarpés du vignoble Barichel. Il leur faut ramasser le raisin, l'écraser doucement et nettoyer soigneusement leurs outils, de l'aube jusqu'au beau milieu de la nuit.

Ivan Geronazzo suit les traces de son grand-père maternel. Mais comme une nouvelle vague de producteurs de prosecco, il s'ingénie à réinventer les méthodes traditionnelles et à les affiner pour rendre le vin de son enfance plus sec et plus complexe.

Un grand quotidien de Turin, LaStampa, lui a consacré un article dithyrambique. Il gagne aussi des prix. Mais pour goûter à ses bulles, il faut se rendre sur place, et étrenner sa nappe à carreaux bleu et blanc, car sa famille parvient tout juste à produire entre 60 000 et 100 000 bouteilles par an. C'est 100 fois moins que les grands producteurs et leurs 6 à 7 millions de bouteilles annuelles. Et c'est à peine suffisant pour répondre à la demande en Italie, puis envoyer quelques bouteilles à des connaisseurs en Autriche et en Allemagne.

Les Geronazzo «valent le détour. Les petites entreprises du genre surveillent leurs vignes plus étroitement, et produisent donc des raisins et des vins de meilleure qualité», estime le sommelier Mario Piccinin, qui amène régulièrement les touristes en tournée dans sa camionnette.

Dans la région, les petits producteurs émondent très soigneusement leurs vignes au premier gel. Au printemps suivant, ils ne gardent que cinq à sept grappes par branche, pour y concentrer les nutriments et les arômes. Ils connaissent le potentiel de leurs terres, explique notre guide. À Valdobbiadene et au village voisin de Connegliano, les vignes poussent dans un microclimat idéal. L'hiver, les montagnes les protègent des vents froids du nord de l'Europe. L'été, la proximité de la mer rafraîchit l'air. Et les racines sont bien drainées grâce aux fortes pentes des pré-Dolomites.

Le mot se répand

À quelques kilomètres du vignoble Barichel, un feu flambe aussi dans une grande cheminée. Elle réchauffe la ferme de Giovanni Frozza - un autre viticulteur respecté, un autre héritier familial et un autre sportif (celui-là, entraîneur de vélo).

Comme la plupart de ses concurrents, il utilise prioritairement la méthode dite Charmat, qui consiste à refermenter le vin dans des cuves pressurisées. Pour plusieurs experts, cette technique donne d'heureux résultats avec le prosecco, tout en permettant de le vendre à bon prix. Mais certains, comme Ivan Geronazzo, remontent occasionnellement dans le temps en imitant les producteurs de champagne, c'est-à-dire, en faisant refermenter certains crus directement dans les bouteilles.

Leurs efforts portent leurs fruits. Plusieurs ont dit que, si le champagne est le roi des bulles, le prosecco en est le prince. En Italie, on a beau le boire tous les jours (parfois en pichet), c'est encore lui qui accompagne la brioche de Noël. À l'étranger aussi, il gagne du terrain. Chaque année, les experts en recommandent une ou deux bouteilles à l'occasion des Fêtes. Entre 2006 et 2010, ses ventes ont progressé de 266% au Canada.

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Une visite «nourrissante»

Pour visiter les vignobles de prosecco avec Mario Piccinin, consultez www.venicedaytrips.com.

Coût: 165 euros/personne pour partir en petit groupe de 9h30 à 17h30. Cela comprend le transport, les dégustations et le repas du midi, si copieux dans notre cas que nous n'avons pas eu besoin de souper ensuite. Le repas en question a eu lieu chez Da Ottavio Agriturismo, qui sert les produits de sa terre - l'été, sur une magnifique terrasse donnant sur les montagnes et les vignes. Intarissable, il nous fait d'abord visiter les lieux, et nous montre ses saucissons qui sèchent.

Dans la salle à manger, le «léger repas» annoncé est en vérité un petit festin. Tout commence par des légumes marinés, du pain, de la polenta, des fromages et des charcuteries (qui nous donnent bien un petit pincement au coeur pour les cochons, gros comme des vaches basses sur pattes, qu'on vient de croiser dans la porcherie). Suivent de succulentes pâtes, du fromage grillé, une omelette. Et enfin, trois desserts plutôt qu'un. Évidemment, le prosecco coule à flots.