Quand les vignerons américains veulent vendre leurs vins sous l'appellation de «château» ou de «clos» sur le marché européen, leurs vis-à-vis français voient rouge. Des experts des 27 pays de l'Union européenne doivent examiner la demande d'autorisation américaine mardi à Bruxelles, et la décision est imminente.

«C'est le respect de la tradition et de la qualité qui sont en jeu», s'indigne Laurent Gapenne, propriétaire du vignoble de Château de Laville et président de la Fédération des grands vins de Bordeaux (FGVB), interrogé par l'Associated Press.

Les vignerons américains, eux, lorgnent sur une part plus importante de leur principal marché d'exportation. À l'heure de la mondialisation, ils veulent faire sauter à leur manière la barrière de la langue. «Les gens utilisent les mots de différentes façons», explique Cary Greene, chef d'exploitation du groupe WineAmerica, pour qui on ne devrait pas pouvoir interdire aux vins américains d'utiliser le mot «château».

Pour le vin français, la mention de «château» ou de «clos» atteste de l'origine du vin, et les vignerons français craignent que l'appellation ne soit galvaudée, remettant en cause des siècles de savoir-faire.

«La Commission européenne est en train de brader notre héritage et notre influence économique au détriment de la mondialisation», estime Laurent Gapenne. «Je ne peux croire qu'ils puissent céder là-dessus», s'alarme-t-il.

En France, les mentions «château», «clos», «cru» et «hospices» désignent un vin d'appellation d'origine protégée issus de raisins récoltés, et vinifiés sur la propriété pour le «cru».

Les viticulteurs américains veulent assouplir la définition de la provenance, qui pourrait inclure les raisins produits «par des vignes traditionnellement exploitées par ce producteur ou groupe de producteurs».

«Les Américains peuvent produire des »châteaux« à partir de grappes de raisin de n'importe où, ce qui fait forcément baisser les prix», explique Laurent Gapenne. «Les consommateurs pourraient être trompés par cette appellation, pensant acheter un vin de qualité alors qu'il ne s'agit pas d'un véritable »château«, selon notre propre définition.»

Les pays de l'Union européenne (UE) représentent encore 57 pour cent de la consommation mondiale de vin, même si cette part recule. L'année dernière, les États-Unis ont vendu pour 478 millions de dollars de vin en Europe. L'UE déclare pour sa part avoir exporté pour 2,2 milliards $US de vin vers les États-Unis l'an dernier, un marché tiré par les grands «châteaux» et «clos» représentant une garantie de qualité.

De 2006 à 2009, plusieurs dizaines de vins américains de premier choix ont utilisé les appellations de «château» et «clos» en vertu d'un accord transatlantique, mais la porte s'est depuis refermée.

La protection des appellations d'origine est souvent source de tensions commerciales entre les pays, comme cela a été le cas par exemple pour la feta grecque ou le houmous libanais. En 2006, l'UE a réussi à protéger le Champagne et le Porto aux États-Unis.