Le mousseux allemand «Petit chaperon rouge» (Rotkäppchen), prisé lors des fêtes de fin d'année en Allemagne, ne porte pas seulement le nom d'un conte de fées. Il est aussi le seul produit de RDA ayant conquis l'ouest du pays.

«3, 2, 1, zéro! Bonne année!»: chaque 31 décembre à minuit, il coule à flot à la Porte de Brandebourg où se massent des centaines de milliers de Berlinois.

Tété au goulot lors des 12 coups de minuit, le Rotkäppchen est de toutes les fêtes de Noël d'entreprises qui rythment le mois de décembre. Pas un anniversaire sans que ne sautent ses bouchons. Pas une naissance sans que sa mousse sucrée ne vienne humidifier les lèvres des nouveaux parents.

Les amoureux des grands crus n'éprouvent que dédain pour ce vin «bas de gamme» vendu 4 euros en supermarché. Le mépris est à son comble quand certains Allemands le comparent au champagne.

Son marketing autour de slogans comme «le romantisme en rouge», ses publicités faites de dames en robe de satin attendant un prince charmant en smoking suscitent les mêmes sourires narquois que les chocolats «Mon Chéri». Mais même dans les soirées du Berlin déjanté, la bouteille de Sekt trouve souvent une place derrière le bar.

Petit chaperon rouge à la chute du Mur de Berlin, c'est lui qui a dévoré le grand méchant loup en s'imposant dans la jungle de l'économie de marché. La société, née en 1856 et nationalisée par le régime communiste après la Guerre, détient, avec ses filiales, 46,8% du marché allemand du mousseux et écoule annuellement plus de 162 millions de bouteilles.

Plus de vingt et un ans après la Réunification, Rotkäppchen continue de produire ses bouteilles au capuchon rouge dans l'une des régions les plus sinistrées de l'ancienne Allemagne de l'Est, la Saxe-Anhalt.

«Très à la mode»

À Freyburg, proprette et jolie cité dominée par les vignes locales, les chaînes de production du mousseux tournent 24h/24, sauf le week-end et les jours fériés.

«Le mousseux rosé est très à la mode en ce moment», explique Ilona Kaiser, chef du service marketing, en présentant la gamme des différents Rotkäppchen, pendant qu'une ouvrière assemble des palettes destinées à la promotion de Noël d'un supermarché de Hambourg.

«C'était le seul «Sekt» qui existait en RDA», raconte à l'AFP Andreas Ludwig, directeur du Centre de documentation de la vie quotidienne en RDA à Eisenhüttenstadt (est). «On n'en trouvait pas partout, mais les gens le buvaient pour les occasions» comme les anniversaires ou mariages, poursuit-il.

Les Allemands de l'Est faisaient la queue devant les magasins lorsqu'un stock était mis en vente. Et les dirigeants est-allemands trinquaient à l'amitié entre les peuples avec du Rotkäppchen.

Quand le Mur tombe le 9 novembre 1989, les Allemands de l'Est fêtent leur liberté nouvelle en avalant des lampées de Sekt. Avant de se jeter, les yeux écarquillés, sur les produits occidentaux au marketing tapageur.

Rotkäppchen est donné pour mort. En 1991, moins de trois millions de bouteilles sont bues. Deux ans plus tard, l'entreprise étatique est cédée à quelques-uns de ses employés. Ce sera son salut.

Les Allemands de l'Ouest, souvent dédaigneux à l'égard des produits estampillés RDA, goûtent, apprécient et consomment ce «champagne communiste».

«Ils ont tout de suite gommé leur image en misant sur l'ensemble du marché allemand sans jamais se référer à la RDA», explique Volker Müller de l'Institut d'études de marché basé à Leipzig (est).

Alors que les rares marques d'ex-RDA encore en vie jouent sur une certaine nostalgie de l'époque communiste, Rotkäppchen clame que cette époque ne constitue qu'une courte période dans sa longue histoire. «Ils ont raison», conclut l'expert. «Car pour les nouveaux consommateurs qui ont 20 ans aujourd'hui, la RDA ne signifie rien».