J'ai demandé le thème de cette semaine à la directrice du cahier Gourmand, elle m'a répondu: «C'est le chocolat, mais tu as écrit mille fois là-dessus (ça fait quand même presque 10 ans que j'écris des chroniques pour La Presse), je ne sais pas si tu peux trouver d'autres accords intéressants et originaux! Peut-être des harmonies aphrodisiaques...»

Il n'en fallait pas plus pour me lancer à la fois dans une réflexion sur l'effet aphrodisiaque du cacao, et sur la piste de mes plus récents résultats de recherches dans l'univers des molécules aromatiques du chocolat, me conduisant vers de nouveaux aliments et liquides complémentaires pour le cuisiner et l'accompagner.

Au début des années 80, à la suite de la publication de son livre The Chemistry of Love, le chercheur américain Michael R. Liebowitz a écrit dans The New York Times un article intitulé «Chocolate Theory of Love», qui a lancé le bal du supposé effet aphrodisiaque du chocolat... Comme le cacao contient une molécule à l'effet euphorisant (2-Phényléthylamine), il croyait littéralement avoir mis le doigt sur le point «G» chocolaté!

Malheureusement, on a découvert plus tard que cette molécule est rapidement métabolisée par une enzyme (monoamine oxydase b) qui empêche la montée au cerveau de la molécule euphorisante. Trop peu trop tard, le fantasme était déjà gravé, et demeure plus que jamais dans la testostérone et dans les estrogènes de tous les aficionados du cacao.

Plus sérieusement, du moins du point de vue aromatique et harmonique, le cacao contient plus de 300 composés volatils. Mais une fois transformé en chocolat noir, on y trouve plus de 500 composés aromatiques! Parmi les composés dominants, il y a en un dans le cacao dont je ne vous ai pas encore parlé. Il s'agit de la théobromine - d'où le nom latin des fèves de cacao; Theobroma cacao. Cette théobromine participe activement, avec certaines pyrazines, à la saveur amère du cacao, tout comme à une multitude d'arômes.

Fait intéressant, la théobromine, un stimulant comme la caféine, signe aussi le profil du thé. Ce qui confirme la grande symbiose entre certains thés et certains chocolats, et ce, tant en cuisine, dans vos recettes, qu'à table, dans l'harmonie. Plus particulièrement entre un thé wulong passablement lacté et un chocolat brun, tout comme entre un chocolat noir à plus ou moins 73% de cacao et un thé vert à peine amer (sencha ou matcha), ainsi qu'entre les chocolats noirs à fort pourcentage de cacao (85% et plus) et les thés vieillis Pu er, aux puissants arômes de terre humide, de feuilles mortes, de légumes racines, d'épices et de cacao.

Comme je vous l'ai décrit dans ma chronique de samedi dernier, le thé de type Pu er, tout comme le cacao, sont aussi des liquides et des aliments complémentaires à la truffe noire du Périgord. Ce qui est également le cas de la bonite séchée, de l'encre de seiche et du xérès oloroso, tous riches en composés phénoliques de même famille que ceux du cacao, des thés et de la truffe. Ce qui fait de ces aliments des ingrédients à assembler en cuisine pour créer des recettes autour du cacao.

Parlant des composés phénoliques de même famille que ceux du cacao, sachez que l'on en trouve une grande quantité dans nombre de vins rouges. À quoi s'ajoutent certaines molécules aromatiques, plus précisément des diméthyl-pyrazines, d'origine végétale et transformées par la chaleur, à l'arôme de grillé-rôti, que l'on retrouve aussi dans le sésame grillé et dans les asperges vertes rôties.

Ces pyrazines aromatiques sont aussi richement présentes dans les vins rouges des cépages cabernet sauvignon, cabernet franc, merlot, malbec, petit verdot, petite sirah. Avec un chocolat à fort pourcentage de cacao et à très faible proportion de sucre, il faut donc utiliser, dans les préparations à base de cacao ou de chocolat noir, les graines de sésame grillées et l'huile de sésame grillée, ainsi qu'envisager les vins des cépages mentionnés pour créer l'accord.

Enfin, notez que lors de la transformation des fèves de cacao pour en faire du chocolat, la torréfaction génère une multitude de nouveaux composés aromatiques, dont une grande partie, aux tonalités grillées-rôties, provient de la réaction de Maillard (réaction de brunissement lors d'une cuisson à haute température des sucres et des acides aminés contenus dans certains aliments comme le cacao, la viande rouge, le poisson...).

Comme le chocolat noir, le poisson grillé et le boeuf grillé sont tous deux marqués par les arômes de la réaction de Maillard, osez griller une pièce de boeuf, ou un poisson à chair colorée (qui est plus riche en acides aminés que le poisson blanc), et y ajouter à la fin de la cuisson, sur le dessus, une fine tranche de chocolat noir, puis passer rapidement à la salamandre. L'effet de synergie de la réunion de deux aliments (boeuf-cacao ou poisson-cacao) marqué par la réaction de Maillard crée un effet exhausteur sur les saveurs dont le résultat est plus grand que la somme des parties. Aphrodisiaque, vous dites?

Il ne vous restera plus maintenant qu'à choisir un vin rouge des cépages mentionnés, mais cette fois-ci provenant de l'hémisphère austral, où les crus sont généralement dotés d'une bonne épaisseur veloutée, engendrée, entre autres, par leur richesse en composés volatils provenant de la réaction de Maillard, qui s'opère lors de leur séjour en barriques de chêne (ce dernier étant riche en sucres et en acides aminés, il voit sa structure transformée par le brûlage de l'intérieur des barriques, préalable à leur utilisation). Comme vous le constatez, il y a toujours à dire sur le chocolat!

François Chartier est l'auteur des livres Papilles et molécules et Les recettes de Papilles et molécules (éditions La Presse).