Ayant séjourné plus de quatre mois au cours des trois dernières années dans la péninsule ibérique, j'ai eu maintes fois le plaisir de la parcourir et de déguster sa cuisine plurielle, tout comme ses vins multiples. S'étant ouverte sur le monde, tant dans l'assiette que dans le verre, l'Espagne est le phénix qui règne actuellement sur l'Europe dans ces deux disciplines.

Comme nos recettes en sont inspirées cette semaine, spécialement par l'Andalousie, je me suis laissé porter par les aliments qui les composent pour vous offrir des pistes venant d'ailleurs. Pour la recette de Remojón grenadin, l'acidité tranchante de la mandarine, liée à ses parfums floraux, ainsi que la puissance de l'oignon blanc ne peuvent qu'être amadoués par un xérès fino ou manzanilla, idéalement passada, donc un brin plus évolué et plus corsé, tant en parfums qu'en structure physique.

Mais il n'y a pas que le xérès qui puisse soutenir cette entrée classique. Un vin blanc à la fois parfumé et vivifiant, comme le sont ceux de sauvignon blanc ou de verdejo, saura entrer en communion avec les composés volatils de cet agrume, tout comme avec ceux de la grenade et de la morue qui participent à l'assise de ce plat andalou.

Pour la soupe Alpujarreña, avec amandes, jambon Serano, ail et mie de pain, difficile de ne pas voguer de nouveau vers un xérès manzanilla! Mais, question de s'amuser sur une autre piste, l'harmonie se réalise aussi avec un blanc sec à base d'aligoté, servi pas trop froid, tout comme un vibra de la Rioja, qui embaume l'amande fraîche, avec des notes légèrement boisées, tout en possédant à la fois la fraîcheur vivifiante nécessaire et la texture patinée pour épouser cette soupe onctueuse.

Pour ce qui est du rabot de toron, il serait logique d'accompagner ce plat de boeuf du même vin ayant servi à sa cuisson, un xérès oloroso. Mais je ne suis pas certain que tous trouveront plaisir à cette harmonie plutôt locale. Un généreux rouge, au boisé présent, fera le pont avec les notes torréfiées de l'oloroso de cuisson.

Quant au cocido, ce pot-au-feu façon andalouse, toujours cuit avec des haricots ou des pois chiches, qui est ici rehaussé de jambon cru et de chorizo, la piste harmonique sera soit celle du vin rouge aux tanins soyeux, tout en fraîcheur, soit celle du vin blanc plus que parfumé et au corps plein et texturé.

Il faut savoir que la viande rouge bouillie devient filandreuse, perdant son sang et ses fibres, ce qui empêche l'accord avec des rouges aux tanins virils, qui se voient durcir devant la chair de cette viande rouge devenue blanche et parfumée.

Enfin, pour clore avec la délirante tartan morisca, mellifère à souhait et riche en amandes sucrées, avec un relent de framboises tout aussi sucrées, elle requiert un tout aussi enivrant vin doux de muscat, qu'il soit espagnol ou catalan.

MES QUATRE VINS POUR NOS RECETTES ANDALOUSES

>> Avec le remojón grenadin

La Grande Cuvée Dourthe 2008

Bordeaux, Vins et Vignobles Dourthe, France


14,90$ (231654) ***$1/2 MODÉRÉ

Une belle réussite que ce sauvignon bordelais, aux effluves assez prononcés, exhalant des notes de pomme verte et d'agrumes. La bouche suit avec une acidité fraîche, qui fera écho à celle de la mandarine, d'une belle texture à la fois aérienne et satinée, qui épousera celle de la morue. D'une belle longueur et d'une finale aux relents de basilic et de gazon fraîchement coupé, rappelant les composés volatils de l'huile d'olive espagnole que je vous suggère d'utiliser pour la recette de Remojón grenadin.

>>> avec la soupe Alpujarreña

Muga Blanco 2009

Rioja, Bodegas Muga, Espagne


16,30$ (860189) ***$1/2 MODÉRÉ+

Un blanc sec à base de vibra, qui embaume l'amande fraîche et les fleurs blanches, avec une touche subtilement boisée, qui possède à la fois la fraîcheur vivifiante nécessaire et la texture patinée pour épouser cette onctueuse soupe. Il faut dire que cette excellente bodega présente, comme à son habitude, l'un des meilleurs vins blancs de la Rioja, d'allure bourguignonne tout en demeurant très espagnole. Vous y dénicherez un vin hyper aromatique, à la bouche certes pleine, mais d'une fraîcheur saisissante et d'un plaisir à boire tout à fait invitant et rarissime chez les vins blancs de l'Espagne, quoique l'élevage et la vinification des vins blancs espagnols se sont raffinés au cours des dernières années et nous permettent d'apprécier des vins d'une fraîcheur tout simplement inexistante, il y a à peine 10 ans.

>>> Avec le rabo de toron

Cocha Hill 2007

Western Cape, Christoph Dornier, Afrique du Sud


14,55$ (10679361) ***$1/2 CORSÉ

Ce généreux rouge sud-africain - qui est mon premier choix pendant la Coupe du monde! -, au boisé présent, fera le pont avec brio dans la rencontre avec les notes torréfiées de l'oloroso ayant servi à la cuisson de ce braisé. Un assemblage cabernet, shiraz et merlot coloré à souhait, aromatique comme jamais et gourmand comme savent l'être les crus du Nouveau Monde. Poivre, poivron et fraise donnent le ton avec éclat au nez, tandis que la bouche se montre juteuse, fraîche, savoureuse et enveloppante. Il faut dire qu'il provient d'un terroir de granit rouge décomposé, ce qui sied parfaitement à la syrah qui entre dans son assemblage. Enfin, il se montre étonnamment harmonieux au possible pour un rouge à 14% d'alcool.

>>> Avec le cocido

Capital Nicalo «Appassimento» Tedeschi 2008

Valpolicella Classico Superiore, F. lli Tedeschi, Italie


16,40$ (11028156) **1/2 $1/2 MODÉRÉ

Il faut absolument de la souplesse et du fruit pour que l'accord résonne en harmonie avec le cocido, un pot-au-feu façon andalouse, car la viande rouge bouillie s'accorde mal avec des rouges aux tanins virils. Comme à son habitude, cette grande maison vénitienne présente un «valpo» au sommet de sa catégorie. Il a tout pour plaire à l'amateur de vins rouges de cette vallée. Un nez aromatique et charmeur, marqué par la cerise, la prune et le café, ainsi qu'une bouche aux tanins fins, au corps frais et texturé et aux saveurs longues et digestes. Servez-le légèrement rafraîchi.

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François Chartier est le coauteur avec le chef Stéphane Modat du nouveau livre Les recettes de Papilles et molécules - Cuisine aromatique et créative du duo Mc2 (éditions La Presse), inspiré par le livre gagnant du prestigieux prix Best Innovative Food Book in the World 2010.

Photo Éric Clément, La Presse

Rabo de toro (restaurant Chikito à Grenade).