L'harmonie mets et vins a toujours été, pour moi, une sorte de route mystérieuse, sur laquelle j'ai appris à faire mon chemin par essais et erreurs (beaucoup d'erreurs), sans jamais être trop certaine des règles à suivre.

Quand j'étais petite, pourtant, la formule que pratiquait ma famille était minimaliste et aisée: rouge avec la viande et le fromage, blanc avec le poisson et les fruits de mer. Infaillible, m'avait-on dit. Il a fallu une rencontre désastreuse entre un Madiran hyper tannique et une viande à la sauce à la canneberge pour me faire comprendre un jour que les choses n'étaient pas si simples et qu'il était temps pour un peu plus de précision. Tâche ardue.

 

Alors imaginez mon bonheur, le jour où je suis tombée sur une chronique du sommelier François Chartier dans laquelle il expliquait que la clé des accords mets et vins était de savoir comment certains ingrédients-clés s'harmonisaient toujours avec certains cépages.

Le texte, publié en avril 2006, disait notamment ceci: «Aussitôt qu'un ingrédient domine dans une recette, l'harmonie peut être facilement envisagée avec le type de vin qui se lie à perfection avec cet ingrédient. De par leurs parfums et leurs saveurs d'une fraîcheur vivifiante, le basilic, la menthe et le persil possèdent les atouts pour faire écho aux vins blancs secs à prédominance de sauvignon blanc.»

La formule, avec son petit côté «équation», m'a tout de suite plu. Tout pour éviter le par coeur. Comme le dirait le proverbe chinois, version sommelière: au lieu de nous donner des accords clés en main, Chartier commençait à nous apprendre à créer ces accords nous-mêmes. Yé!

Chartier, auteur, chroniqueur à La Presse et conseiller harmonique du fabuleux restaurant El Bulli, a compris lui aussi qu'il y avait une piste à explorer. Il a commencé à chercher ce qui pourrait expliquer, par exemple, les si belles harmonies alliant riesling ou gewürztraminer et romarin... Ou pourquoi soja et sirop d'érable vont main dans la main si aisément. Et à partir de là, il s'est mis à découvrir des liens moléculaires entre les cépages et certains ingrédients particulièrement aromatiques. En d'autres mots, il y avait une parenté chimique entre, par exemple, le clou de girofle et les vins rouges d'Espagne à base de grenache ou alors entre les chardonnays goûtant bien le chêne, à l'américaine, et la noix de coco.

Étrange, mais vrai.

C'est en travaillant à décortiquer tout ça que Chartier s'est rendu jusque chez le Catalan Ferran Adrià d'El Bulli, un autre qui aime bien patauger dans la chimie avec sa cuisine moléculaire. De fil en aiguille, il a été encouragé à poursuivre et à approfondir ses travaux. Le tout a donné Papilles et molécules, publié récemment aux Éditions La Presse et préfacé à la fois par Richard Béliveau et Adrià. L'ouvrage de 215 pages explique et décrit la science derrière les accords entre les arômes et, donc, entre les mets et les vins.

 

Écrit avec beaucoup de capsules, des graphiques et même quelques recettes, ce livre se prend comme on le veut.Soit on adore la science et on lit tout en détail pour tout comprendre de A à Z. Soit on cherche directement les sous-titres, schémas et compagnie pour identifier rapidement quelles sont les formules gagnantes pour les accords, quitte à revenir plus tard sur les explications.

Écrit avec l'assistance de Carole Salicco, la compagne de Chartier, et révisé par un docteur en biologie moléculaire, Martin Loignon, le guide s'adapte à la lecture qu'on veut en faire. On peut butiner, feuilleter, plonger... Oui, il y a beaucoup de mots chimiques aux allures savoureusement terrifiantes (acétyleugénol, furfural?), mais le but n'est pas de les connaître par coeur. Il suffit de comprendre qu'ils sont le lien de parenté entre une foule d'ingrédients et de vins. Une fois qu'on a établi les grandes familles d'arômes, non seulement on peut créer nos accords nous-mêmes, on peut même créer nos mélanges de saveurs. Car le livre ne parle pas que de parenté entre vins et mets, il explore les liens entre les aliments... Caramel, érable, abricot... Guimauve, framboise, eucalyptus...

Imaginez comment un Ferran Adrià a pu s'éclater avec tout ça.

À lire, si on veut rompre avec les traditions et qu'on a envie de prendre des risques savoureux dans la cuisine. Le tout en explorant un nouvel univers gastronomique dont on n'a pas fini d'entendre parler.

Le livre Papilles et Molécules de François Chartier