«Oui, beaucoup disent que je suis fou»: dans sa Champagne natale, Didier Pierson a fait rire sous cape quand il a acheté des terres en Angleterre. Mais le Français a quand même planté sa vigne, persuadé que l'Albion peut elle aussi produire des bulles de qualité.

Perchés en haut d'une colline battue par les vents, d'où on peut deviner la Manche par beau temps, les ceps semblent bien seuls dans ce paysage de bocages plus habitué au bétail qu'au raisin. Mais c'est ici, à la pointe sud de l'Angleterre, que Didier Pierson a décidé de se lancer dans ce qu'il appelle «une aventure».Didier tire chaque année une centaine de milliers de bouteilles des dix hectares qu'il possède à Avize, en Champagne (nord-est de la France). Il y a quelques années, il décide de s'étendre. Mais un hectare en champagne «coûte un million d'euros». Outre-Manche, seuls suffisent quelques dizaines de milliers d'euros, lui susurre sa femme anglaise.

Le vigneron jette son dévolu sur le Hampshire. «Ici, on est en plein dans la craie, comme à Avize», explique-t-il. Entre les pieds de vigne, les roches de calcaire mêlées à la terre noire font comprendre pourquoi on appelle parfois le Sud anglais le «prolongement naturel» de la Champagne.

Les Britanniques étaient déjà les premiers consommateurs au monde de champagne. Ils en deviennent maintenant des producteurs. L'étendue des vignes plantées a bondi d'un tiers au Royaume-Uni depuis 2004. Les mousseux comptent pour une bonne part dans cette envolée.

L'association «English Wine Producers» prévoit que la production des «bubblies», comme on les appelle ici, représentera en 2015 les deux tiers des vins anglais, contre environ 40% actuellement.

Mais de là à ce qu'un producteur de champagne vienne conquérir l'Angleterre... «Les Français pensent que je suis complètement fou», reconnaît Didier Pierson.

N'empêche. En 2003, il monte une société à parts égales avec un éleveur anglais qui lui cède quatre hectares entre vaches et moutons dans la campagne surplombant Portsmouth.

La première vendange a lieu en 2007. La deuxième en 2008. Aujourd'hui, les deux productions maturent dans des cuves installées dans un ancien hangar à bestiaux.

Il faudra attendre 2011-12 pour la mise sur le marché. Ce sera alors la surprise. Les premières indications évoquent des «arômes différents», avance Didier sans trop vouloir se prononcer.

Le producteur de 42 ans sait que ses collègues français «l'attendent au tournant». Mais il «espère bien leur prouver qu'on peut faire un mousseux de qualité en Angleterre». Il n'est pas question cependant de «faire un champagne», mot banni en dehors de la région éponyme : le Comité interprofessionnel du vin de champagne (CIVC) «a un oeil sur ce que je vais faire», rappelle Didier.

«Pionnier», le vigneron a conscience de l'être. «C'est quand même l'aventure ici», lâche-t-il. «La grosse différence, ce sont les températures la nuit». En juin, elles peuvent tomber à 11-13 degrés, contre 16 à 18 en Champagne, empêchant les raisins de se former. «En années normales, on devrait avoir de bonnes années, mais en années difficiles, ça va être encore plus difficile».

Le réchauffement climatique pourrait l'aider, espère-t-il. «Mais je crois qu'il est trop tôt pour savoir si cela fera de l'Angleterre un bon vignoble: il nous faut 1O-15 ans».

De toute façon, «quand on plante la vigne, c'est pour 35 ans», lâche-t-il avec son bon sens paysan, disant faire surtout ça pour «mes deux enfants» de neuf et dix ans.

«Et si ça va bien, d'autres Français vont venir», prédit-il, évoquant ces «grands noms de champagne qui ont déjà un oeil sur l'Angleterrre: Roederer, Moët, Duval-Leroy».