Dans le viseur des autorités britanniques de protection des données et de la justice américaine, la société Cambridge Analytica, accusée d'avoir illégalement acquis des données d'utilisateurs de Facebook, a annoncé mardi la suspension de son patron Alexander Nix, qui s'était vanté d'avoir oeuvré pour Donald Trump en 2016.

Sa suspension, poursuit Cambridge Analytica, a été décidée à la suite de la publication de «commentaires» de M. Nix enregistrés par la chaîne Channel 4 News, ainsi que d'autres «allégations» formulées à son encontre, qui «ne représentent pas les valeurs» de la société, spécialisée en communication stratégique et analyse de données à grande échelle.

Les commentaires en question sont issus d'une enquête diffusée lundi et mardi par la chaîne britannique, où le patron de Cambridge Analytica apparaît en caméra cachée répondant aux questions d'un reporter à l'identité déguisée.

Les derniers éléments publiés mardi le montrent ainsi se vantant du rôle joué par son entreprise aux États-Unis dans la campagne présidentielle du candidat républicain Donald Trump en 2016. Recherche, analyse: «On a dirigé sa campagne numérique», assure-t-il.

Et l'homme de mettre en avant le système d'emails auto-destructeurs qu'il utilise: «Il n'y a aucune preuve, pas de trace écrite, rien». Pas de danger que les parlementaires américains percent son secret à jour, ajoute-t-il. «Ce sont des hommes politiques, pas des techniciens. Ils ne comprennent pas comment ça marche».

CA, qui dispose de bureaux au Royaume-Uni et aux États-Unis, est accusé d'avoir récupéré sans leur consentement les données de 50 millions d'utilisateurs de Facebook pour élaborer un logiciel permettant de prédire et d'influencer le vote des électeurs, afin de peser dans la campagne de Donald Trump.

Channel 4 News a également diffusé une interview enregistrée avec Hillary Clinton en octobre 2017. «Il y avait une campagne d'un genre tout nouveau qui était menée dans le camp d'en face», y explique l'ancienne candidate démocrate en dénonçant «un effort de propagande».

«La vraie question c'est de savoir comment les Russes ont pu cibler aussi précisément les électeurs indécis dans le Wisconsin, le Michigan et la Pennsylvanie», trois États remportés par le milliardaire républicain, ajoute-t-elle.

«Scandalisé» 

Facebook s'est pour sa part affirmé «scandalisé d'avoir été trompé» par l'utilisation des données de ses utilisateurs par Cambridge Analytica et a dit «comprendre la gravité du problème».

Le réseau social a fait part de sa détermination «à appliquer vigoureusement nos politiques pour protéger les informations privées» et «à prendre toutes les mesures possibles pour que cela soit suivi d'effet».

Dans les enregistrements publiés lundi, Alexander Nix suggère également des techniques pour mettre en difficulté un rival politique, comme par exemple le fait d'«envoyer des filles autour de la maison du candidat».

Interrogé dans le quotidien The Times, Alexander Nix a démenti avoir tenté de piéger des hommes politiques. Cambridge Analytica a de son côté «nié fermement» ces accusations.

Devant l'ampleur du scandale, une commission parlementaire britannique a demandé mardi au patron de Facebook, Mark Zuckerberg, de venir s'expliquer devant elle. Et lui a donné jusqu'à lundi pour répondre.

Le jeune milliardaire a également été invité à s'exprimer devant le Parlement européen, qui va «enquêter pleinement» sur cette «violation inacceptable des droits à la confidentialité des données».

Aux États-Unis, les procureurs de New York et du Massachusetts, imités par le régulateur américain du commerce (FTC), ont lancé une enquête sur ce scandale.

«Fouiller les serveurs» 

Les autorités chargées de la protection des données dans l'Union européenne se sont également saisies mardi de l'affaire. Le sujet était au menu d'une réunion de ces autorités à Bruxelles, a indiqué la Commission européenne, dont une représentante devait demander des «clarifications» à Facebook, dont le cours a dégringolé en Bourse.

Au Royaume-Uni, l'Information Commissioner's Office (ICO), autorité indépendante chargée de réguler le secteur et de protéger les données personnelles, a demandé l'autorisation d'enquêter au sein de CA afin de pouvoir «fouiller les serveurs» et «effectuer une vérification des données».

Le régulateur britannique a affirmé avoir demandé dès le 7 mars à Cambridge Analytica d'accéder à ses dossiers et données, mais n'avoir pas obtenu de réponse «dans les délais impartis».

Elizabeth Denham, à la tête de l'ICO, a précisé avoir obtenu de Facebook qu'il arrête sa propre enquête sur Cambridge Analytica car elle pouvait potentiellement compromettre celle du régulateur.

Facebook, comme Twitter ou Google, est accusé depuis des mois d'avoir servi à des entités liées à la Russie pour manipuler l'opinion publique, en particulier lors de la campagne présidentielle américaine ou celle du référendum sur le Brexit en 2016.

Ils sont aussi régulièrement accusés de ne pas assez protéger les données personnelles de leurs utilisateurs, qui sont la base de leur modèle économique.