Tout portait à croire que Nokia resterait l'exemple à suivre en matière de téléphonie mobile. Mais aujourd'hui, la chute de l'ex-géant des télécoms finlandais est spectaculaire. En seulement une demie décennie, le destin de l'entreprise a basculé.

En novembre, les actionnaires décideront de vendre toute la division de téléphones à l'américain Microsoft.

Comment un tel retournement de situation est-il possible?

D'après certains spécialistes, Nokia était au sommet de son activité en 2007. L'entreprise détenait alors près de la moitié du marché mondial des téléphones ayant accès à internet, les tout premiers téléphones intelligents.

Un succès qui semble lui avoir troublé la vue sur les évolutions en cours à l'époque.

«Chez Nokia on était devenu arrogants, et par conséquent, trop lents face aux changements mondiaux», a expliqué à l'AFP un chercheur de l'Institut de recherche économique ETLA, Petri Rouvinen.

Plus les téléphones intelligents se sont développés, plus les logiciels et les services ont gagné en importance. Mais pendant trop longtemps, Nokia s'est consacré à de «fausses innovations», a confié M.Rouvinen.

«Il aurait fallu donner la priorité au "software" au lieu du traditionnel "hardware"», selon lui.

Par ailleurs, l'entreprise est restée longtemps prisonnière de son système d'exploitation Symbian, utilisé jusqu'en 2011. Selon Tero Kuittinen, analyste chez Alekstra, ce système était «obsolète» déjà des années auparavant, par rapport aux besoins des téléphones intelligents à écran tactile.

Pourtant, l'entreprise avait recruté à partir de 2005 près de 2 000 personnes pour développer Meego, un système d'exploitation haut de gamme. Celui-ci devait faire voir le jour à une plateforme destinée aux futurs téléphones intelligents.

Mais les résultats obtenus ont été trop maigres. Au même moment, Google développait Android, avec 4 fois moins de personnel.

Faute de système d'exploitation solide, Nokia a noué un partenariat avec Microsoft et a concentré ses efforts sur son système d'exploitation Windows. Très marginal sur le marché international déjà dominé par Samsung (Android) et Apple (iOS).

«Par sa propre décision Nokia a limité la taille de son marché (...)», a commenté à l'AFP Sami Sarkamies, analyste de la banque Nordea.

L'ex-PDG Jorma Ollila reconnait de nombreuses erreurs dans son autobiographie, publiée en Finlande.

«On vivait avec de nombreuses suppositions et de fausses perceptions», a t-il admis.

Mais la chute brutale de Nokia n'est qu'un exemple parmi tant d'autres dans la télécommunication.

«Il y a encore une décennie, il y avait Nokia, Ericsson et Motorola. Aujourd'hui, ils ne sont plus là», a noté M. Rautanen.

«Depuis 2007, il n'a plus été raisonnable de séparer les télécommunications, les produits électroniques et les ordinateurs», a estimé M.Rouvinen. Tout cela ne représente plus qu'une seule branche: «le numérique», d'après lui.

Un autre facteur a été moins évoqué: les qualités de M. Ollila. Sans doute un grand patron avec énormément d'atouts, mais que certains, souvent en privé, accusent d'avoir trop influencé les décisions de l'entreprise, après avoir quitté son poste de PDG en 2006.

Si la plupart des Finlandais ne veulent pas parler des erreurs de M. Ollila, M. Kuittinen est plus direct.

«Ollila s'était entouré de flagorneurs qui n'avaient pas les compétences pour répondre aux défis des logiciels», a t-il commenté.

Sous couvert d'anonymat, un autre observateur finlandais a fait état à l'AFP «d'une personne qui prônait le dialogue, mais qu'il n'y avait qu'une vérité: celle de M. Ollila».

«Si en 2000, Apple avait cessé de concevoir des ordinateurs, une activité qui accusait des pertes, elle n'aurait jamais pu lancer iPod, iTunes, iPhone, iPad etc.», a conclu M. Kuittinen. «La direction de Nokia semble ne pas se rendre compte à quel point elle a nui à l'entreprise».