Twitter a suspendu plusieurs comptes créés par les islamistes shebab qui ont attaqué le centre commercial de Nairobi au Kenya, une mesure qui témoigne de l'ampleur de l'utilisation de ce mode de communication dans la stratégie médiatique des groupes jihadistes.

Le compte @hsm-press a été suspendu samedi, après avoir été utilisé pour revendiquer l'attaque contre le centre commercial qui a fait 62 morts, autant de disparus et 200 blessés selon un dernier bilan de la Croix-Rouge. Deux comptes officiels, @HSMPress1 et @HSMPress, avaient déjà été suspendus, respectivement début septembre et en janvier.

Lundi matin, un autre compte (@HSM-presoffice2), a été suspendu. Il prétendait tweeter en direct et in extenso les actions des shebab, mais ceux-ci n'ont pas confirmé son authenticité.

Twitter prévoit que des comptes peuvent être suspendus si leurs titulaires publient «des menaces directes, explicites de violences à l'encontre d'autrui». Les comptes subissent le même sort si Twitter est utilisé «pour poursuivre des buts illégaux ou mener des activités illégales».

«L'objectif pour les hébergeurs, explique Me Florence Gaullier, avocate associée au cabinet Gilles Vercken, c'est d'être les moins intrusifs et les plus neutres possible, de ne pas être des censeurs».

«Généralement, ils choisissent la mesure la moins intrusive, et donc ils ont tendance à bloquer un contenu litigieux» plutôt que le compte dans son intégralité, poursuit-elle.

«Après, s'il y en a cinquante (contenus litigieux) sur le même compte, c'est plus simple pour eux de suspendre le compte entier», affirme Me Gaullier.

«Tout cela dépend du droit applicable localement. Les sites comme Twitter, aussi bien en Europe qu'aux États-Unis, ont obligation de surveillance uniquement pour un certain type d'atteintes, par exemple des propos extrêmement violents, de la haine raciale, du contenu pédopornographique», explique-t-elle.

D'après l'avocate, il n'est pas impossible que l'État kenyan ait «demandé à Twitter» de suspendre le compte «et si Twitter veut rester dans le pays, il a plutôt intérêt à s'y conformer».

Le réseau social, interrogé par l'AFP, n'a pas souhaité faire de commentaire.

En prenant cette mesure, Twitter complique la communication des assaillants dans cette prise d'otage qui a été largement commentée sur le réseau social, parfois en direct (@shirleyghetto) ou peu après (@kamz26) par des utilisateurs se trouvant au sein du centre commercial Westgate.

Twitter a aussi été utilisé par l'armée kenyane (@kdfinfo) ou la Croix-Rouge (@KenyaRedCross) pour informer des derniers développements en termes d'offensive militaire ou de victimes.

Dominique Thomas, chercheur spécialiste des mouvements islamistes et auteur de «Les hommes d'Al-Qaïda : discours et stratégie» (Ed. Michalon), ne voit pas de grande nouveauté dans cette utilisation par les shebab somaliens de Twitter : «Aujourd'hui, les groupes armés sont parfaitement familiers de l'utilisation des réseaux sociaux».

Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi) avait par exemple organisé une série de questions-réponses sur Twitter avec des journalistes en avril, tandis qu'en Syrie ou plus récemment encore en Afghanistan, les groupes jihadistes ont utilisé le réseau social pour revendiquer des attentats.

«Cette façon de communiquer et de mettre en ligne la propagande permet d'atteindre un public plus large que les simples forums où il faut bénéficier d'un compte: on élargit le lectorat», note M. Thomas.

«Les shebab le font depuis assez longtemps, utilisent des vidéos, beaucoup plus que d'autres organisations qui sont restées sur un mode de communication plus traditionnelle, par exemple Al Qaïda pour la péninsule arabique ou en zone pakistanaise», ces derniers sont selon lui «sous pression très forte des drones américains» qui peuvent les repérer - et donc les frapper.