Le Tout-Canada Inc. s'y attendait depuis des semaines. La mise sous protection de faillite de Nortel Networks aux États-Unis et au Canada, confirmée hier, a quand même provoqué des secousses dans plusieurs directions.L'un des plus gros équipementiers des télécommunications du monde, jadis un fleuron d'affaires du Canada, est désormais confiné aux soins très intensifs.

Et le résultat de ce traitement-choc demeure très incertain: un regain après d'importantes amputations curatives ou la fin provoquée d'une agonie qui dure depuis huit ans.

«Nortel doit retrouver des assises financières une fois pour toutes. Ces mesures sont essentielles pour que Nortel puisse miser sur ses forces et redevenir un chef de file en bonne santé financière», a indiqué son président et chef de la direction, Mike Zafirovski.

Des propos presque humiliants pour ce dirigeant-vedette d'origine américaine qui fut recruté avec éclat par Nortel en 2005 pour, justement, se remettre en selle après cinq ans de déboires et de fraudes comptables.

Pourtant, Nortel a confirmé hier avoir encore 2,4 milliards US en liquidités disponibles. Une somme énorme en apparence, d'autant que sa prochaine grosse échéance financière -un milliard US en obligations à remplacer- était prévue que dans deux ans.

Transformation accélérée

Mais soudainement, selon Nortel, «la crise financière mondiale et la récession ont aggravé les défis financiers et ont directement entravé la capacité à mener à bien la transformation débutée à la fin de 2005».

Cette «transformation» accélérée par M. Zafirovski a déjà fait sa marque: revente de divisions et d'usines jugées accessoires, réduction additionnelle de 18% des effectifs, pertes additionnelles de sept milliards composées surtout de frais de restructuration et de dépréciation d'actifs.

Mais c'était encore insuffisant pour le conseil d'administration de Nortel. Il a finalement décidé mardi soir de placer l'entreprise en protection de faillite, après des semaines de rumeurs parmi les analystes et dans la presse financière.

Dans l'immédiat, cette décision provoque un stress additionnel pour les 32 000 employés de Nortel; un effectif déjà amputé des deux tiers depuis 2000.

Activités canadiennes

Au Canada, c'est surtout dans les régions d'Ottawa et Toronto que Nortel a encore des bureaux et des laboratoires qui emploient quelques milliers de personnes.

Au Québec, Nortel n'a plus qu'un centre de distribution dans l'est de Montréal et des bureaux au centre-ville qui compte environ 500 employés, après la revente de son usine de Saint-Laurent en 2005.

Par ailleurs, pour les actionnaires de Nortel, la protection de faillite signifie qu'ils risquent de perdre le peu qu'il leur reste, avec l'inévitable refonte de capital qui s'annonce.

Encore hier, les actions de Nortel ont chuté de 68% à 12 cents seulement à la Bourse de Toronto, assez pour déclencher la révision de l'inscription.

La Bourse de New York a maintenu l'embargo sur les actions de Nortel décrété avant l'ouverture du marché. Cette rechute boursière de Nortel réduit sa valeur totale à seulement 62 millions. Des miettes par rapport à son niveau d'il y a 10 ans, au sommet de la «bulle techno» en Bourse, alors que la valeur boursière de Nortel a dépassé celle des six grandes banques canadiennes réunies.

Quant aux créanciers de Nortel, la protection de faillite les contraint à retenir leur souffle et espérer pour le mieux.

25 000 créanciers

Selon les documents déposés en cour au Delaware et à Toronto, Nortel a au moins 25 000 créanciers, dont plus d'une centaine à qui elle doit plus de 100 millions US chacun.

Parmi eux, on retrouve le gouvernement du Canada avec sa société Exportations et Développement Canada (EDC).

Ce banquier fédéral des entreprises exportatrices a déjà 186 millions CAN en crédits consentis aux clients internationaux de Nortel.

Et hier, peu après la mise sous protection de Nortel, EDC a annoncé un financement d'urgence de 30 millions, consenti sous ordre du ministre fédéral de l'Industrie.

«Le gouvernement du Canada reconnaît l'importance de l'industrie des télécommunications pour notre économie et continuera de travailler avec Nortel pendant sa restructuration, par l'entreprise d'EDC», a indiqué le ministre Tony Clement.

Par ailleurs, la liste des gros créanciers de Nortel comprend son principal sous-traitant industriel, Flextronics International, dont le siège social est à Singapour.

Flextronics avait racheté plusieurs usines de Nortel en 2005, dont celle située à Saint-Laurent, à Montréal, qui employait alors 1000 personnes.

Mais trois ans plus tard, après plusieurs suppressions d'emplois, cette usine montréalaise a été fermée pour de bon en septembre dernier. Cette fermeture mettait fin à plus d'un quart de siècle de fabrication d'équipements de télécommunications dans une usine ouverte au temps de Northern Telecom, devenue ensuite Nortel Networks.