Une vingtaine de jeunes sont assis devant un ordinateur et jouent à un jeu vidéo, une scène qui n'aurait rien de bien étonnant si ces jeunes n'étaient pas en classe, un mardi avant-midi, au collège Jean-de-Brébeuf, à Montréal.

Ils sont dans la peau d'un personnage du jeu Assassin's Creed et parcourent différents endroits autour d'Alexandrie à l'époque de l'Égypte antique et reçoivent, durant leur exploration, toutes sortes d'explications sur cet environnement qui fera l'objet d'une évaluation à l'issue de la tournée.

Ces jeunes participent à une étude dont les premiers résultats ont été rendus publics mardi et qui démontrent que si le jeu vidéo peut avoir une utilité pédagogique, il a ses limites et n'est pas près de remplacer les enseignants.

C'est là la principale conclusion à laquelle en arrive une équipe de chercheurs dirigée par le professeur en didactique Marc-André Éthier, de la faculté des sciences de l'éducation à l'Université de Montréal.

«Dans le même temps, la même présentation, le professeur a plus d'efficacité parce qu'il peut pointer davantage les choses à voir et il est en rapport avec les élèves aussi, s'il y a des questions», a expliqué le chercheur aux membres de la presse convoqués à l'institution d'enseignement pour la présentation de ses résultats préliminaires.

Le professeur Éthier a utilisé une nouvelle production de la compagnie Ubisoft, soit une série de 75 tours guidés d'Alexandrie à l'époque de l'Égypte antique réalisés avec la recherche qui a servi à créer l'environnement de sa dernière mouture du jeu Assassin's Creed Origins - lancée en octobre dernier, pour mener ses travaux.

Près de 300 élèves de niveau secondaire, soit des groupes de 40 dans huit écoles, ont été divisés en deux pour comparer les résultats d'apprentissage d'un groupe suivant des tours audioguidés du jeu vidéo et ceux d'un groupe voyant la même matière avec un professeur utilisant des images fixes tirées de la même présentation.

Impact positif, mais un écart significatif

Les élèves des deux groupes avaient une note moyenne de 22% avant la formation, et les étudiants ayant été formés par le professeur ont vu leur note passer à 55% après la formation, comparativement à une note moyenne de 41% pour ceux qui avaient été formés par le jeu vidéo.

Selon le professeur Éthier, il est donc clair que le jeu vidéo a bel et bien eu un impact positif sur l'apprentissage des élèves, mais que l'apprentissage avec un professeur donne un résultat significativement supérieur.

«Les enseignants n'ont pas à craindre de perdre leur emploi avec ça, pas du tout!», s'est-il exclamé à l'issue de la formation avec les étudiants.

Le chercheur croit par ailleurs qu'une approche hybride mariant le jeu vidéo et l'apprentissage traditionnel avec un enseignant permettrait d'améliorer encore davantage l'apprentissage, mais les paramètres de sa recherche, dont il n'a pas encore terminé de compiler les résultats et l'analyse, ne permettaient pas d'évaluer une telle approche «hybride».

«Le prof avec le jeu pourrait faire des choses qu'il ne peut pas faire sans cela, explique le chercheur; il peut montrer des images beaucoup plus claires de ce qu'était Alexandrie qui a été recréée par des égyptologues, donc des gens qui s'y connaissent bien. C'est un outil de plus dans la besace de l'enseignant.»

Samuel Zuquim, étudiant de secondaire III, reconnaît que c'est «beaucoup plus amusant d'utiliser le jeu», mais s'est montré réaliste tout en démontrant que les jeunes ne sont pas bêtes lorsque vient le temps de se préparer pour examen.

«Avec un prof (...) tu sais exactement qu'est-ce qu'il va y avoir dans un test. Dans le jeu, tu as beaucoup plus d'extras et tu n'es pas certain si ça va être dans le test et si tu dois te souvenir de ces détails», raconte le perspicace adolescent, reconnaissant à son tour qu'avec l'enseignant, il est possible de poser des questions.

«On ne peut pas combattre?»

Sans surprise, dès les premières minutes de la visite virtuelle, un des étudiants constate que son personnage ne peut expédier personne au cimetière.

«Non! Pas de combats!», répond l'un des superviseurs.

«La formule récompense, le behaviorisme, ça fonctionne bien, mais à court terme», affirme Marc-André Éthier, qui entrevoit une réduction d'efficacité à long terme «parce qu'on se lasse des choses dans la vie.»

L'arrivée du Discovery Tour d'Ubisoft, cette série de 75 visites au cours desquelles le joueur ne participe pas à une aventure, mais fait plutôt une visite audioguidée d'Alexandrie durant l'antiquité égyptienne, était une coïncidence bienvenue par l'équipe de chercheurs, dont les travaux ont été réalisés en toute indépendance de l'entreprise, qui n'a fourni que le jeu et les plateformes pour l'utiliser.

Discovery Tour

Ubisoft Montréal, dont le jeu Assassin's Creed a été salué par la critique pour la qualité et la rigueur de ses environnements historiques, a créé le Discovery Tour pour souligner le dixième anniversaire du jeu, dont l'Égypte antique est le dixième environnement historique.

«La raison d'être du Discovery Tour c'est vraiment de donner accès à tout le savoir que nous, les développeurs, avons acquis pour recréer l'Égypte antique», raconte Jean Guesdon, le directeur créatif d'Ubisoft Montréal qui est en charge d'Assassin's Creed Origins et de Discovery Tour.

Cette visite virtuelle en 75 tableaux sera offerte gratuitement à compter du 20 février à tous ceux qui possèdent le jeu Origins et sera disponible au coût de 20 $ pour le grand public.

«L'idée ce n'est pas le jeu. C'est un mode spécifique, éducatif», plaide M. Guesdon. «Nous faisons une recréation de l'Égypte qui est plausible, qui est crédible, qui est bourrée d'information véridique et c'est ça qu'on veut donner.»

Le souci n'est pas nouveau, puisque Ubisoft a intégré une encyclopédie dans le jeu dès sa deuxième version en 2009.

Le président-directeur général d'Ubisoft Montréal, Yannis Mallat, hésite toutefois à parler d'un éventuel marché pour ce genre de produit éducatif: «Bien honnêtement, c'est une initiative embryonnaire qui s'inscrit très bien dans notre mission d'entreprise», dit-il.

«Loin de nous l'intention de vouloir aller plus loin en termes de prétention académique», s'empresse-t-il d'ajouter, précisant que l'objectif de départ est de voir si le corps professoral peut utiliser la richesse historique colligée par les équipes de développeurs, d'historiens et de chercheurs mis à contribution.

Il n'écarte pas l'idée de créer de tels tours pour les autres environnements historiques d'Assassin's Creed, mais il est encore trop tôt pour s'avancer davantage: «On a bien hâte de faire l'analyse, d'entendre ce que les gens ont à dire sur cette initiative.»

La possibilité, également, de transposer le tout en réalité virtuelle 3-D fait rêver le grand manitou d'Ubisoft Montréal, mais il avertit qu'il s'agirait là d'une tâche colossale et délicate à plusieurs niveaux, les jeux Assassin's Creed étant lourdement chargés par «énormément de détails, énormément d'effets visuels: nous poussons déjà la machine, les consoles dans leurs derniers retranchements de puissance et transposer ça en VR (réalité virtuelle), pour l'instant, c'est impossible tel quel.»

PHOTO PATRICK SANFAÇON, LA PRESSE

Marc-André Éthier