À l'ombre des monuments historiques de Lahore, une jeune génération de créateurs de jeux vidéo pour téléphones intelligents s'active dans des studios dernier cri pour donner un air insoupçonné de Silicon Valley à la capitale culturelle du Pakistan.

Bureaux à espaces ouverts, parité hommes-femmes au travail et atmosphère ultra-décontractée, le secteur des technologies de l'information au Pakistan, évalué à 2,8 milliards de dollars américains, a le vent en poupe, grâce à de jeunes entrepreneurs comme Babar Ahmed.

Ce trentenaire a abandonné en 2006 une carrière prometteuse d'ingénieur en électronique à Austin, au Texas, pour fonder avec son frère Faraz les studios Mindstorm à Lahore, capitale culturelle du Pakistan.

Leur studio compte désormais 47 salariés, une croissance due à des succès comme «Whacksy Taxi», propulsé au premier rang des jeux téléchargés dans les AppStore de 25 pays, «Mafia Farm» et «Cricket Power».

«Le but était de mettre le Pakistan sur la carte de la planète jeu», explique à l'AFP Babar Ahmed.

Aujourd'hui, Mindstorm est l'un des concepteurs de jeux vidéo pakistanais qui prospèrent sur les plateformes de téléphones intelligents. «Après le lancement du iPhone, la définition de ce qu'est un jeu vidéo a soudainement changé», dit-il.

La réalisation de jeux «lourds» pour des consoles ou des ordinateurs nécessite des millions de dollars et des dizaines de développeurs. Au contraire, les jeux pour les téléphones intelligents, à l'architecture graphique plus légère, exigent moins de capitaux.

D'où l'explosion du nombre de start-up en Europe de l'Est, aux Philippines et au Pakistan spécialisées dans le développement de ces jeux à la popularité d'ailleurs croissante, souligne Jazib Zahir, chef des opérations chez Tintash, une jeune boîte de Lahore à l'origine du jeu «Fishing Frenzy», un autre succès pour smartphones.

Selon le gouvernement, environ 24 000 personnes travaillent aujourd'hui dans le secteur des technologies de l'information destinées à l'exportation, ce qui comprend des jeux vidéo mais aussi des logiciels pour la finance et les soins de santé.

«L'un des avantages du Pakistan tient à ce que nous avons une masse critique de personnes dotées de l'expertise, des aptitudes et d'un intérêt envers les logiciels et l'art, et qui peuvent combiner ces deux facettes», ce qui est essentiel dans l'industrie du jeu vidéo, explique Zahir.

Les super-héros au bureau 

Affiches bariolées au mur, doudous en peluche et figurines de super-héros ornent les ordinateurs sur lesquels un essaim de jeunes d'une vingtaine d'années pianotent pendant des heures chez We R Play, un studio aménagé dans un entrepôt en banlieue de la capitale Islamabad.

Cette société fondée en 2010 par Mohsin Ali Afzal et Waqar Azim, «encourage» ses employés à s'approprier leur espace de travail. «Nous leur donnons même (de l'argent) pour qu'ils puissent garnir leurs bureaux», souligne Mohsin, un ancien étudiant de la prestigieuse université de Berkeley en Californie.

Garder une atmosphère de divertissement est aussi au coeur des préoccupations chez CaramelTech, un studio de Lahore fondé en 2011 par les frères Saad et Ammar Zaeem, qui a effectué la programmation pour une société australienne du méga-tube Fruit Ninja, comptant plus de 500 millions de téléchargements.

La start-up pakistanaise a aménagé une «salle de jeu» pour ses employés avec table de billard, baby-foot et console X-Box. «Chaque jour, à 16 h, nous forçons les employés à arrêter de travailler pour aller jouer. Nous voulons créer une culture où non seulement les gens travaillent mais ils s'amusent», assure Mohsin.

Les «geeks» au féminin 

Outre cette volonté de ne pas se prendre au sérieux, les jeunes studios pakistanais misent sur la parité hommes-femmes, dans un pays très conservateur sur le plan des moeurs et peu acquis au féminisme.

Jeans moulants, t-shirts ou hijabs, les styles se mélangent dans ces jeunes pousses dont les employées doivent encore convaincre leur famille qu'elles font un «vrai travail». «Mes parents pensent que je joue toute la journée et que je ne fais rien», plaisante Saadia Zia, 24 ans, chargée de détecter les «bugs» informatiques dans un studio de la capitale.

S'ils sont plongés dans les jeux en permanence, le quotidien n'est pas qu'amusement: ils doivent aussi jongler avec les coupures de courant, des télécommunications irrégulières, les menaces sécuritaires et la corruption endémique dans le pays.

«Juste en face de nos bureaux, il y a une voiture criblée de balles. C'est le genre de chose qui marque», lance Babar Ahmed. «C'est un peu le Far-West. Ce n'est pas pour tout le monde. Si vous vous attendez à ce que tout fonctionne autour de vous, vous allez être déçu. Mais si vous faites preuve de débrouillardise, c'est super!», dit-il.