En huit ans de travail pour le géant du jeu vidéo Electronic Arts, Vander Caballero n'avait jamais reçu le moindre courriel d'un amateur. Dans sa nouvelle aventure, Minority Media, il ne compte plus les messages de gens qui lui racontent comment son jeu Papo&Yo a changé leur vie.

Minority a vu le jour il y a trois ans quand M. Caballero a quitté son poste de directeur de la recherche et du développement chez Electronic Arts à Montréal. «Je voyais que la distribution numérique s'en venait et que c'était l'occasion de lancer ma propre compagnie. C'était là ou jamais.»

Originaire de la Colombie, où il a vécu jusqu'à l'âge de 17 ans, M. Caballero rêvait de créer des jeux différents.

«J'ai vécu la violence et je ne pouvais pas croire qu'il y en ait autant dans les jeux. Les développeurs de jeux d'ici ne sont pas conscients de cette violence, ils ne l'ont pas vécue. Je l'ai fait moi-même pendant quelques années, mais c'était difficile. Je voulais montrer l'autre côté, celui où l'on n'est pas l'agresseur, mais où l'on subit la violence.»

Alcoolisme

Sa première création, Papo & Yo, avait pour toile de fond le problème de l'alcoolisme. Il se basait sur l'expérience personnelle du créateur, dont le père était victime de cette dépendance. Le héros, un enfant, était accompagné d'un gentil monstre qui devenait dangereux pour tout le monde, y compris lui, quand il mangeait des grenouilles, qui l'attiraient plus que tout.

«Les éditeurs de jeux à qui je présentais l'idée figeaient. J'ai dû me tourner vers les producteurs de films. Eux trouvaient ça correct de parler d'alcoolisme.»

Ce sont ces producteurs de films qui l'ont aiguillé vers le Fonds des médias du Canada (FMC), qui a alloué 1 million au financement de Papo & Yo. Sony a ajouté 500 000$ en échange d'une période d'exclusivité pour sa console PlayStation 3.

Lancé en août dernier, le titre est très près de faire ses frais, selon M. Caballero. «Ce qui est intéressant, c'est qu'il a une longue durée de vie. Quand un produit est innovateur, il est difficile à copier.»

Papo & Yo a surtout touché beaucoup de gens qui se sont reconnus dans son histoire. Il y a quelques semaines, l'équipe a reçu un message particulier. Un Américain lui demandait de concevoir un tatouage à partir du monstre et d'une grenouille.

«Papo & Yo a, comme on dit, changé la donne pour moi, écrivait cet homme. Me voilà maintenant père et je m'efforce constamment d'être celui que mes enfants [ainsi que ceux des autres] méritent.»

L'équipe s'est pliée à sa demande et a reçu, il y a trois semaines, une photo de l'homme, tatouage de Papo & Yo à l'épaule.

Apprendre de ses erreurs

Ce premier projet a également permis d'apprendre de quelques erreurs. Une grosse en particulier, celle de lancer une démo gratuite beaucoup trop généreuse, qui durait 45 minutes. Plus de 500 000 téléchargements ont été enregistrés dans les trois premières semaines. «Quand tu en obtiens 300 000, même avec une superproduction, c'est beaucoup, note M. Caballero. Mais le taux de conversion a été très bas.»

C'est le genre d'erreur dont peuvent être victimes plusieurs studios indépendants. «Nous sommes habitués de nous occuper de développement, mais là, il faut aussi s'occuper du marketing. Avoir pris les bonnes décisions, nous serions déjà en train de faire des profits.»

Bien qu'elle lui ait permis de mener Papo & Yo à bon port, l'entente avec Sony est aussi une erreur que Minority a cherché à éviter pour son deuxième projet, The Silent Enemy, qui pourrait sortir avant la fin de l'année sur plateforme iOS.

Un petit studio, explique M. Caballero, n'a pas les moyens de lancer une deuxième ou une troisième offensive marketing quand son jeu, libéré des clauses d'exclusivité, peut enfin être lancé sur d'autres plateformes.

En plus du FMC, Minority a donc trouvé un partenaire mexicain avec qui il coproduit The Silent Enemy, qui traite de l'intimidation et qui se déroule à la Baie-James.

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Minority media

Qui: Vander Caballero, cinq associés et une quinzaine d'employés.

L'idée: Créer des jeux vidéo originaux, basés sur des thèmes sociaux.

L'ambition: Créer la plus importante franchise du jeu vidéo.

Ils y croient et y ont investi de l'argent: Vander Caballero, Julien Barnoin, Ernest Webb, Catherine Bainbridge, Christina Fon, Linda Ludwick.