Jouer à World of Warcraft pourrait-il transformer votre enfant en un fin négociateur? Pourrait-il apprendre à diriger ses pairs en jouant à Guild Wars? Oui, répond la chercheuse Kathy Sanford, de l'Université de Victoria, qui a observé des jeunes joueurs pendant cinq ans. Ses conclusions sont surprenantes.

Q: Décrivez-nous l'étude que vous avez réalisée dans les cinq dernières années.

R: Nous voulions mieux comprendre comment les jeunes s'impliquent dans les jeux vidéo et ce qu'ils en apprennent. Ces jeux sont-ils aussi néfastes que les gens le disent? Nous avons donc suivi 12 jeunes, qui avaient entre 13 et 16 ans au début du projet, la moitié d'entre eux étaient des garçons, la moitié des filles. Nous avons poursuivi avec les mêmes jeunes pendant plusieurs années, donc nous les avons suivis dans l'adolescence, puis dans l'âge adulte. À la fin, ils allaient à l'université ou ils travaillaient. Nous en avons conclu qu'à titre de jeunes adultes, dans leur vie, ils avaient acquis de nombreuses compétences en jouant. Il y avait réellement eu un transfert de compétences de leur vie virtuelle à leur vie réelle.

Q: À quels jeux jouaient-ils?

R: À toutes sortes de jeux. World of Warcraft, League of Legends, Guild Wars, Call of Duty. Nous ne leur disions pas à quoi jouer. C'étaient surtout des jeux multijoueurs, puisqu'ils y jouaient beaucoup pour l'aspect communautaire. D'ailleurs, il faut souligner que toute la notion d'amitié s'est transformée: leurs amis pouvaient être dans la pièce, mais ce pouvait aussi être des gens qu'ils n'avaient jamais vus. Et ils se sentent réellement liés à ces amis virtuels. Je leur demandais souvent: «Est-ce que c'est un vrai ami ou un ami virtuel?» Ils me répondaient: «Mais qu'est-ce que ça change? Même si je ne les ai jamais vus, je parle avec eux, je fais des blagues avec eux, je les connais.»

Q: En concluez-vous que les jeux vidéo font de meilleurs citoyens?

R: En tout cas, ça leur donne des compétences pour mieux évoluer en société. Jouer en équipe, ça permet d'apprendre à négocier, à collaborer. Ils doivent identifier les forces de chacun. Jouer à ces jeux développe aussi des compétences indéniables en matière de leadership. Dans le jeu Guild Wars, par exemple, ils doivent bâtir un clan. Ils vivent des conflits. Ils doivent prendre des décisions morales et éthiques. Ils en sortent avec le goût de devenir des citoyens plus actifs. Parce qu'en parallèle, ils sont branchés sur le monde, beaucoup plus qu'on le pense, d'ailleurs. Ils regardent les nouvelles, regardent les médias sociaux. Et peut-être qu'à l'avenir, tout cela se traduira par un engagement citoyen plus important de leur part.

Q: Mais c'est quand même différent de négocier avec une personne virtuelle et une autre, qui se trouve réellement devant vous.

R: Peut-être, mais nous avons observé que ces compétences acquises dans un monde virtuel se transféraient bel et bien dans la vraie vie. Pourquoi? Parce que les jeunes joueurs sont très impliqués dans leur jeu. Ils créent les personnages, décident qui ils sont, leurs qualités, leurs forces. Ils sont très branchés sur eux. En plus, ils parlent avec les autres joueurs, ils leur écrivent. C'est pour cela que le transfert de compétences se fait: ils négocient réellement, ils ne font pas qu'observer quelqu'un qui le fait.

Q: Les parents s'inquiètent souvent de voir leurs enfants passer trop de temps à jouer. Quelle attitude leur conseilleriez-vous?

R: Évidemment, il faut garder un certain équilibre. Il faut aussi aller jouer dehors! Mais il faut négocier plutôt que de bannir complètement les jeux vidéo. C'est important que les parents comprennent les jeux auxquels jouent leurs enfants. On ne peut plus seulement dire: «Je ne veux pas que tu joues aux jeux vidéo parce que c'est violent.» Certains de nos participants ont joué à des jeux qui se passaient à une autre époque, et par la suite, ils ont acheté des livres pour se renseigner davantage sur cette période historique. Donc, ça peut être très positif! Bref, les parents devraient chercher à utiliser les jeux vidéo plutôt qu'à les bannir.

Q: Mais les parents sont préoccupés par le niveau de violence présenté dans ces jeux. Pour vous, c'est une inquiétude?

R: Les jeunes nous disent: «Je ne tue personne, ce n'est que du code informatique.» Mais je dois dire que ça m'inquiète quand même. Ces jeunes participants à notre étude n'étaient absolument pas violents. Le deviennent-ils davantage en jouant? Il faut dire qu'ils sont témoins d'actes de violence dans plusieurs autres secteurs de leur vie. Le problème ne peut pas certainement pas être limité aux jeux vidéo.