En l'espace d'une semaine, Québec et Ottawa ont annoncé des mesures budgétaires qui transformeront sensiblement l'industrie du jeu vidéo. Alors que les petites entreprises ont droit à de nouveaux crédits, les grands éditeurs, eux, goûteront à l'austérité d'Ottawa.

Une mesure du budget provincial annoncée il y a deux semaines permet pour la première fois aux éditeurs québécois d'obtenir le crédit d'impôt de 37,5% sur les coûts de main-d'oeuvre de leurs homologues de propriété étrangère. «Pour les sociétés indépendantes comme la nôtre, c'est une excellente nouvelle. C'était jusqu'ici très difficile d'accéder à ces crédits. Là, enfin, on va pouvoir profiter du même avantage fiscal qu'elles», explique Steve Couture, PDG de Frima Studio, à Québec.

«Voilà pour la bonne nouvelle. Le reste, ce ne sont que des mauvaises nouvelles», avertit Denis Langelier, associé, Services fiscaux chez PricewaterhouseCoopers, à Montréal. «Depuis la semaine dernière, investir dans la création de nouveaux jeux vidéo coûte plus cher. Le Canada n'est plus un des pays industrialisés où investir en R&D est abordable. L'impact est négatif et significatif pour tous les grands éditeurs de jeu vidéo établis à Montréal et au Canada», dit-il.

Quatre mesures liées à la R&D annoncées dans le budget fédéral du 29 mars dernier visent à récupérer 1,7 milliard de dollars, en coupant dans les crédits accordés aux grandes entreprises de propriété étrangère, dont font partie l'ensemble des grands studios établis au Québec.

Le budget fédéral réduit de 20 à 15% le crédit d'impôt remboursable accordé pour la R&D à ces entreprises. Dès 2014, il éliminera du calcul de ce crédit les dépenses en immobilisation, incluant le matériel informatique, et fera passer de 65 à 55% la part des salaires également applicable. Enfin, la déduction de la R&D faite en sous-traitance passera de 100 à 80%.

Tout cela pourrait refroidir le désir des studios d'investir à nouveau ici pour leurs futurs projets. «Tout à coup, des pays comme l'Irlande ou les États-Unis deviennent plus attrayants», conclut l'analyste montréalais.

Superproductions québécoises à la tonne

L'effet de ces nouvelles mesures fiscales se fera sentir en 2013 et 2014. En attendant, l'industrie a de quoi se réjouir: 2012 sera une année faste pour le jeu vidéo québécois, alors qu'un nombre important de nouvelles superproductions arrivent sur le marché en même temps.

«Annuellement, on compte en moyenne une vingtaine de jeux AAA. Qu'il y en ait cinq ou six qui proviennent d'un même endroit comme c'est le cas à Montréal, c'est remarquable», observe Matthew Tattle, spécialiste du jeu vidéo pour la firme d'analyse internationale NPD Group.

Assassin's Creed 3, Far Cry 3, Secret World, Mass Effect 3 (en partie, du moins) et un nouveau chapitre à ajouter à la série Tom Clancy's Splinter Cell ne forment qu'une partie des titres qui devraient sortir des studios de jeu montréalais comme Ubisoft, Funcom, Electronic Arts et Warner Bros. Interactive Entertainment d'ici la fin 2012.

Dans tous les cas, il s'agit de «jeux AAA», les jeux les plus coûteux à produire et qui génèrent chacun des dizaines, voire des centaines de millions de dollars en revenus. C'est l'équivalent pour le jeu vidéo des superproductions hollywoodiennes pour le cinéma. À l'exception que cette année, Hollywood est au Québec, note le NPD Group. Un pôle important pour son industrie, qui devra cependant apprendre à vivre un peu moins aux dépens des crédits gouvernementaux.