C'est une histoire comme on en voit parfois au cinéma. Ou, plus approprié dans ce cas-ci, dans certains jeux vidéo. Car malgré cinq années de difficiles affronts, la petite société montréalaise Polytron s'apprête à connaître un beau succès commercial.

Si ça se trouve, ce sont les infortunes du petit créateur de jeux vidéo qui lui permettront d'empocher les premiers véritables revenus de son existence, grâce à un jeu vidéo qui sera mis en marché au cours du printemps sur la plateforme Xbox Live Arcade, de Microsoft.

Intitulé Fez, ce jeu de casse-tête est en conception depuis 2007. Dès 2008, les premières esquisses du jeu ont raflé un prestigieux prix international pour leur qualité visuelle. Énergisés par cette reconnaissance, Renaud Bédard, Phil Fish et Rich Vreeland ont hérité d'un financement de Téléfilm Canada, incorporé leur entreprise et se sont lancés dans la programmation à temps plein.

Objectif: un jeu de plateforme qui serait mis en marché en 2010. Mais voilà, entre-temps, Polytron a perdu son financement du fédéral. Puis, des intérêts divergents ont forcé le départ d'un des trois cofondateurs, qui gérait les affaires courantes et qui composait également la musique du jeu.

La sortie du jeu a été retardée. Les malheurs s'empilaient. «Il y a un an, nous étions vraiment au bout du rouleau. On avait perdu un associé, on avait épuisé les ressources de nos amis et de nos familles et on n'avait plus d'argent», se rappelle Renaud Bédard, co-créateur de Fez avec Phil Fish, qui incarne l'autre moitié de Polytron.

Un bon temps

C'est en 2010 que la chance a frappé: Trapdoor, autre studio montréalais indépendant, a volé à la rescousse financière des deux entrepreneurs. Puis deux réalisateurs de documentaire de Winnipeg ont proposé de suivre Bédard et Fish dans leur boulot pendant un an.

Leur documentaire Indie Game: The Movie a été primé au Festival du cinéma indépendant de Sundance, en janvier. La semaine dernière, en ouverture de la Game Developers Conference, qui réunit 20 000 professionnels de l'industrie mondiale à San Francisco, sa diffusion s'est terminée sur une longue ovation. Enfin, deux jours plus tard, Fez a raflé le Grand Prix du Festival des développeurs indépendants de jeux vidéo, ainsi qu'une bourse de 30 000$US, à l'occasion du gala IGF de la GDC.

Au stand de Polytron le lendemain, Renaud Bédard et sa copine regardent la file d'attente qui s'allonge devant la console Xbox 360 où le jeu est en démonstration et se disent qu'en fin de compte, être un développeur indépendant n'est pas une si mauvaise tâche.

«Aujourd'hui, notre histoire est connue partout dans l'industrie. Je pense que le jeu va en bénéficier. En tout cas, Polytron va survivre à Fez et ça, c'est une excellente nouvelle», dit celui pour qui la mise en marché de Fez marquera tout de même la fin d'un chapitre dans sa carrière.

«En ce moment, il y a beaucoup d'occasions pour ceux qui veulent lancer leur propre entreprise de jeu vidéo. Montréal compte plusieurs studios indépendants et j'espère pouvoir en profiter.» Dans la vie, il y a des entrepreneurs qui n'apprennent pas de leurs erreurs. Ils apprennent plutôt de leur succès. Aussi invraisemblable soit-il.