Médias sociaux et mobilité informatique obligent, le jeu vidéo subit des transformations sans précédent qui font la part belle aux petits studios indépendants. Avec ses énormes subventions exclusives aux grandes multinationales, Québec est-il en train de nuire à la croissance de l'industrie?

Ce qu'on appelle le phénomène Angry Birds semble appelé à devenir la norme: le petit studio finlandais Rovio empoche mensuellement des revenus supérieurs à 1 million de dollars provenant de l'affichage publicitaire dans les quelque 100 millions de copies de son jeu qui ont été téléchargées à ce jour. C'est sans compter la vente de la version payante du jeu et de ses nombreux dérivés...

Les chances qu'un petit studio québécois connaisse un succès similaire sont plutôt minces, admet Pierre Proulx, directeur général de l'Alliance numérique. Connaître un succès comme Angry Birds, c'est comme gagner à la loto: on a plus de chances si on a plusieurs billets en poche. «Tout le monde rêve d'un tel succès, mais un éditeur qui produit 10 titres a plus de chances que s'il n'en fait qu'un ou deux», dit-il.

Or, produire un jeu coûte des sous. Dix, encore plus. Au Québec et au Canada, l'industrie s'est surtout développée grâce à l'aide gouvernementale destinée aux importants éditeurs étrangers. Les petits indépendants sont laissés pour compte, déplorent certains experts.

Plus tôt ce mois-ci, l'ancien directeur général de l'International Game Developers Association (IGDA) Jason Della Rocca a fait une sortie dans les médias spécialisés, critiquant l'approche gouvernementale à cet égard. Selon lui, un éditeur comptant moins de 25 employés aura toutes les difficultés du monde à obtenir de l'aide financière. M. Della Rocca ciblait la Colombie-Britannique, mais on pourrait dire la même chose au Québec, analyse M. Proulx.

«Les crédits gouvernementaux sont adaptés aux besoins des grandes sociétés. Au Québec, il y a plusieurs petites entreprises de 10 ou 12 employés qui aimeraient en profiter, mais les programmes ne sont pas bien adaptés pour elles.»

Parmi ces petites entreprises se trouve Wendigo, un studio indépendant de Chicoutimi qui s'est récemment placé sous la protection de la Loi sur les faillites. Accablé par des difficultés financières, Wendigo venait de lancer deux nouveaux jeux pour réseaux sociaux, en partenariat avec le géant Playfish, depuis racheté par Electronic Arts (EA).

Une industrie en changement

D'ailleurs, il suffit de jeter un coup d'oeil aux résultats financiers du dernier trimestre d'EA, plus important éditeur de jeux vidéo nord-américain, pour réaliser à quel point l'industrie est en plein changement: les jeux sur console, qui commandent des budgets de développement comparables à ceux de superproductions cinématographiques, ont atteint une maturité qui se traduit par une croissance désormais limitée, sinon nulle.

En revanche, ces mêmes résultats témoignent d'une croissance vive des recettes tirées des créneaux émergents que sont les jeux mobiles, ceux liés aux réseaux sociaux et les jeux grand public, généralement offerts en téléchargement sur les services en ligne sur l'internet et sur les consoles les plus populaires.

Pour son trimestre se terminant au 30 juin dernier, EA a fait état de revenus en hausse de 11%, propulsés par une popularité explosive de ses jeux mobiles et de ses jeux offerts en téléchargement, respectivement en hausse de 75 et de 91% par rapport à la même période un an plus tôt.

L'industrie québécoise n'y échappe pas. «Une entreprise qui veut croître doit créer des produits pour ces nouvelles plateformes. La majorité des studios établis au Québec le font, mais c'est encore surtout l'affaire de petits acteurs», des entreprises mal ciblées par l'aide financière provinciale, constate le directeur général de l'Alliance numérique.