Détourner les ressorts ludiques du jeu vidéo pour véhiculer un message: très prisée aux États-unis, cette méthode originale est de plus en plus adoptée par des organisations, entreprises ou particuliers, désireux d'éveiller les consciences, notamment des jeunes.

ICED (I can end deportation), Handigo ou Clim'City: ces «serious games», jeux vidéo dont le but premier n'est pas de divertir, permettent de se mettre dans la peau d'un immigré menacé d'expulsion, d'une personne handicapée ou d'un citoyen écolo luttant contre les gaz à effet de serre. «Le fait de se retrouver acteur d'une problématique permet de se heurter à sa réalité, d'avoir une empathie supérieure pour ceux qui souffrent, et donc le message va mieux passer», explique Stéphane de Buttet, qui vient d'ouvrir le premier cabinet de conseil spécialisé dans ce domaine en France, SimLinx.

«De plus en plus de gens s'y intéressent, mais ne savent pas comment s'y prendre ou combien ça coûte», dit-il.

Cette «nouvelle approche est en phase avec la génération qui a grandi avec l'industrie des jeux vidéo et est très avide d'interactivité», renchérit Julian Alvarez, auteur d'une thèse sur le sujet.

Les organisations en sont friandes: le Programme alimentaire mondial (PAM) des Nations unies a fait figure de précurseur en 2005 avec Food Force, destiné à sensibiliser sur le problème de la faim dans le monde.

En France, plusieurs associations se sont récemment lancées dans l'aventure.

L'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe) propose ainsi de «construire une ville durable» avec les jeux Ecoville ou SOS 21, accessibles sur son nouveau site pour les 12-18 ans, mtaterre.fr.

Sur un tout autre thème, Handigo, fruit d'une collaboration entre Handicap International et l'éditeur français Ubisoft, a rencontré un grand succès, selon Dominique Lê Van Truoc, directeur de communication de l'ONG, précisant qu'il a attiré «plus de 18.000 joueurs» qui s'y sont adonnés «4,5 fois en moyenne».

«Premier jeu dont les héros sont handicapés», Handigo «nous permet de sensibiliser une cible jeune à un sujet qui pourrait paraître lointain», estime-t-il.

Des projets qui ne laissent pas indifférentes les entreprises. «Nous avons de plus en plus de demandes sur ce créneau», constate Damian Nolan, directeur commercial de la société Daesign, spécialisée dans les «serious games». Parmi ses clients, beaucoup de grands groupes, comme Axa, la SNCF ou Alcatel-Lucent.

«L'objectif, dit-il, est de communiquer un message moralisateur de façon plus légère, voire humoristique, pour que les gens s'en imprègnent mieux».

Il s'agit par exemple de favoriser l'intégration des salariés handicapés ou de prévenir les discriminations en mettant en scène un entretien de recrutement, dans lequel un manager doit déjouer des pièges tels qu'interroger une candidate sur sa situation familiale.

Au-delà de l'usage interne, c'est aussi un formidable moyen de «véhiculer les valeurs d'une marque» auprès du grand public, relève Julian Alvarez, citant les cas d'Orange et de Starbucks Coffee qui ont développé des jeux à dimension écologique (Hutnet Island et Planet Green Game).

Sur un mode plus militant, fleurissent sur le web des petites applications pour dénoncer une politique tout en s'amusant, comme «Classement de sandales», créé pour protester contre la réforme de l'enseignement supérieur. Le principe: «se défouler» en envoyant des chaussures sur Nicolas Sarkozy ou sa ministre Valérie Pécresse, en clin d'oeil au fameux lancer d'un journaliste irakien contre George W. Bush.