Les jeux vidéo ont un potentiel «addictogène» chez des gens fragiles mais les interdire pour lutter contre la violence éventuelle des adolescents, comme l'a fait une chaîne de magasins allemands, n'est pas la solution, ont estimé des psychiatres interrogés par l'AFP.

À la suite de la tuerie perpétrée le 11 mars en Allemagne par un jeune homme adepte de jeux vidéos violents, la chaîne allemande Kaufhof a décidé de supprimer de ses rayons les jeux pour les plus de 18 ans. «Aucune enquête n'a prouvé que les jeux vidéo rendent plus violents», souligne le Dr Jean-Claude Matysiak, chef de service de la consultation d'addictologie de l'hôpital de Villeneuve-St-Georges (Val de Marne).

Le Dr Matysiak vient de publier un roman policier sur l'addiction aux jeux vidéo et la violence, «Virtual Killer».

«Le jeu en soi, dit-il, n'est absolument pas le fondement du passage à l'acte» et «l'immense majorité des joueurs n'ont absolument aucun problème avec les jeux vidéo», même s'il existe «une frange pathologique».

Sur des gens «déjà potentiellement violents», fragiles, «le jeu peut, comme certaines drogues, devenir une circonstance déclenchante», ajoute-t-il.

«Le problème ne vient pas du jeu vidéo lui-même mais de la relation avec le jeu vidéo», explique le Pr Michel Lejoyeux, chef du service d'addictologie à l'hôpital Bichat à Paris, qui trace un parallèle avec l'alcool : «la question n'est pas d'interdire le vin en France mais de repérer ceux qui ont ou vont avoir une position de dépendance».

Selon lui, plutôt que d'interdire la vente des jeux vidéo, mieux vaudrait «interdire les armes et leur trafic».

Il pourrait même être «dangereux» d'interdire ces jeux, dit le Dr Matysiak, qui ont selon lui une «fonction exutoire». Ils permettent de «libérer certains fantasmes de violence» et de s'autoriser des choses «qu'on ne s'autoriserait pas dans la vie réelle».

«C'est nécessaire que ça puisse ressortir», comme un «dérivatif aux pulsions», dit-il.

L'interdiction stimulera en outre le besoin de transgression des adolescents. «S'ils ne les trouvent pas dans un magasin, il les trouveront ailleurs», dit le Dr Louis Lebocey, responsable de la Maison des addictions de Caen.

Il reconnaît en outre aux jeux des «valeurs éducatives» : «développer les réflexes, la vigilance, le sens de la stratégie, le rapport à l'autre (jeux en réseau), les échanges, le processus identitaire...». Pour lui «on ne peut pas les diaboliser».

Les psychiatres reconnaissent néanmoins aux jeux vidéo un «potentiel addictogène», un «effet de conditionnement des comportements».

Socialement, «il y a des incitations fortes à avoir comme unique loisir ce qui est de l'ordre du virtuel», note le Pr Lejoyeux. «L'écran devient le meilleur compagnon, le seul interlocuteur, il est dans la chambre, il est complètement disponible : on ne mesure pas la modification psychologique qu'induit ce recours permanent au virtuel».

Il faut «être vigilant», montrer aux adolescents que «la vie réelle est aussi un domaine dans lequel ils peuvent exprimer des choses», les inciter «à mener parallèlement à la vie ludique virtuelle une vie réelle», insiste-t-il.

Pour le Dr Lebocey, les vendeurs ont une responsabilité lors de la vente, en vertu d'«une éthique commerciale».

Et «il ne faut pas non plus évacuer la responsabilité des parents», dit le Dr Matysiak, qui doivent «s'intéresser à ce que leurs enfants font sur internet». Le jeu, dit-il, ne doit pas être «une babysitter virtuelle».

«Pour avoir la paix, ils donnent n'importe quel jeu à l'enfant», note un internaute sur un forum.