Le gouvernement américain s'apprête à mettre fin à sa supervision de l'organisme qui attribue les adresses internet dans le monde, renonçant à un rôle largement symbolique, mais néanmoins important dans la gouvernance de la toile.

Sauf rebondissement de dernière minute, la transition interviendra à minuit samedi, échéance officielle du contrat liant actuellement le département américain du Commerce et l'Internet Corporation for Assigned Names and Numbers (Icann).

Ce dernier deviendra alors une entité internationale autorégulée et à but non lucratif chargée de gérer le système des noms de domaines en ligne (Internet Assigned Numbers Authority), que le grand public connaît sous forme d'adresses de sites en .com ou .ca par exemple.

Des responsables du gouvernement américain et de l'Icann présentent le changement comme un plan de longue date pour «privatiser» ces fonctions, mais certains critiquent un «cadeau» qui pourrait menacer l'intégrité d'internet.

Christopher Mondini, un vice-président de l'Icann, assure que le changement n'aura pas de conséquence sur le fonctionnement quotidien de la toile, mais garantira à la communauté internationale que le système est à l'abri d'une interférence gouvernementale.

«C'est une nouvelle sorte de modèle de gouvernance», indique-t-il à l'AFP. Ce système «pluripartite» prévoit que si des ingénieurs, des entreprises, des organisations gouvernementales ou non gouvernementales, ou tout autre groupe qui constituent l'Icann, remarquent qu'il dévie de sa mission, «ils peuvent initier des procédures pour une autocorrection», précise-t-il.

Structure byzantine

Des législateurs américains ont tenté d'empêcher la transition, argumentant que le nouveau modèle risquait de permettre à des régimes autoritaires d'avoir un plus grand contrôle sur internet.

L'Icann «n'est pas un organisme démocratique», a ainsi accusé le sénateur républicain Ted Cruz lors d'une audition début septembre, mais une organisation «avec une structure de gouvernance byzantine conçue pour brouiller les lignes de responsabilités, qui est gérée par des bureaucrates ayant soi-disant des comptes à rendre aux technocrates, aux multinationales, aux gouvernements, y compris certains des régimes les plus oppressifs du monde comme la Chine, l'Iran et la Russie».

Jim DeMint, président du groupe de réflexion conservateur Heritage Foundation, a pour sa part estimé dans un message sur Twitter que le président Barack Obama «veut céder le contrôle des États-Unis sur notre internet libre et sûr à des régimes étrangers qui ne respectent pas la liberté d'expression».

En France, la secrétaire d'État au Numérique Axelle Lemaire s'était également inquiétée en mars de certains éléments de la réforme qui, selon elle, «auront pour conséquence de marginaliser les Etats dans les processus de décision», au bénéfice des entreprises privées.

Les partisans du plan de transition soutiennent que les critiques ignorent la manière dont internet fonctionne et a prospéré depuis des années.

Kent Walker, un vice-président de Google, a souligné qu'il s'agissait de «tenir une promesse que les États-Unis ont faite il y a près de deux décennies: qu'internet pouvait et devrait être gouverné par tous ceux qui participent à sa croissance continue».

Un groupe de six législateurs démocrates a également prévenu que ne pas tenir cette promesse présentait des risques.» Si les républicains réussissent à retarder la transition, les ennemis de l'Amérique vont certainement réagir rapidement. La Russie et ses alliés pourraient faire pression pour déplacer le contrôle des fonctions clés d'internet vers un organisme gouvernemental comme les Nations unies où ils ont plus d'influence», ont-ils prévenu dans un article publié sur le site d'informations technologiques TechCrunch.

La transition doit avoir lieu, même si elle est «imparfaite», juge aussi Daniel Castro, vice-président de la fondation ITIF (Information Technology and Innovation Foundation).

«Une interférence du gouvernement américain à ce stade minerait le consensus mondial et réduirait la confiance dans le modèle pluripartite au moment où ces attributs sont le plus nécessaires», a-t-il écrit dans un blogue.

La transition «marque un «moment constitutionnel» clé pour la gouvernance d'internet», avance-t-il, «et les États-Unis devraient s'assurer qu'ils sont du bon côté de l'histoire».