Lutte contre le gaspillage alimentaire, aide aux pisciculteurs, éducation financière, drones au service de l'aide internationale. Pour quatre jeunes entreprises québécoises, la techno sert avant tout à améliorer le monde, avec des causes qui leur tiennent à coeur. Incursion dans le monde des jeunes entreprises humanitaires.

L'humanitaire vu des airs

LE CONCEPT

Des drones, des iPod ou des iPhone, une boîte noire et une application pour coordonner le tout. Tous ces appareils forment l'« écosystème Humanit3D », qui recrée un réseau de communication indépendant, sans données cellulaires, mais reposant uniquement sur les capacités de transmission WiFi des petits appareils Apple. 

Essentiellement, les iPod ou les iPhone sont couplés à la boîte noire fabriquée par Solutions Humanitas, qui les rend capables de communiquer à une distance d'un kilomètre. La boîte noire contrôle en outre le drone, qui peut être envoyé à une vingtaine de kilomètres de distance pour des missions de cartographie, pour retrouver des personnes disparues, évaluer l'état des routes et des immeubles. Toutes les informations recueillies sont ensuite centralisées.

LA CAUSE

Se décrivant avec humour comme médecin, geek et entrepreneur, Abdo Shabah a fondé l'entreprise Solutions Humanitas après être allé aider Haïti à se relever du séisme de 2010. C'est là qu'il a utilisé la modélisation 3D pour la gestion des soins et constaté à quel point le travail humanitaire était entravé par la chute des réseaux de communication. « On a vite vu qu'il y avait un besoin de gestion de l'information, de cartographie, de suivi des populations en déplacement, explique-t-il dans ses bureaux de la rue Jean-Talon, à Montréal. Ce sont des fonctions pour lesquelles le satellite n'est pas adapté. » La solution : établir un réseau ad hoc à un prix presque dérisoire - moins de 10 000 $ - en incorporant la mobilité des drones, la capacité des iPod et des iPhone, et en inventant une interface pour permettre la communication.

LES MOYENS

Le jour de l'entrevue, M. Shabah revenait d'un concours de drones humanitaires, qui s'est tenu aux Émirats arabes unis la fin de semaine dernière. Même si Humanit3D n'a pas remporté le premier prix, son concepteur estime avoir démontré l'intérêt de la technologie. « En environnement contrôlé, à 32 °C ou à - 32 °C, notre démo fonctionne à 100 %, explique-t-il. D'ici six mois, notre objectif est de stabiliser la solution et de rapetisser le boîtier. » Solutions Humanitas est actuellement à la recherche d'investisseurs et négocie pour pouvoir démontrer l'efficacité de sa technologie lors de deux événements d'envergure en 2016, le Marathon de Montréal et le Grand Prix de Formule Un.

Photo Robert Skinner, La Presse

Abdo Shabah a fondé l'entreprise Solutions Humanitas.

Contrer le gaspillage alimentaire

LE CONCEPT

Eatizz (www.eatizz.com) est un site internet, également offert en application pour iOS et Android, qui permet à de petits commerçants d'offrir des rabais sur des mets préparés invendus. Dès la mi-février, on prévoit qu'une quinzaine de restaurateurs, de boulangers et de propriétaires de cafés du Plateau Mont-Royal proposeront sur cette plateforme leurs produits pour une vente rapide.

Ce sont les commerçants qui sont responsables de la mise à jour de leur section, établissant le rabais et la liste des produits offerts. Les consommateurs, eux, peuvent effectuer un tri en fonction de leur géolocalisation et du type de produit recherché. Ils doivent ensuite se rendre chez le commerçant pour profiter de ces rabais de dernière minute.

LA CAUSE

Chaque année, près du tiers de la nourriture produite sur la planète est perdue, soit 1,3 milliard de tonnes qui aboutissent à la poubelle, selon une étude menée en 2011 par la Food and Agriculture Organization. Au Canada, ce gaspillage est évalué annuellement à 27 milliards de dollars, dont 2,4 milliards liés à la restauration.

« Il y a vraiment un problème, note William Steven, qui a mis sur pied Eatizz. Vous avez d'un côté des commerces qui se retrouvent avec des produits invendus, et des consommateurs qui pourraient les acheter s'ils savaient où trouver l'information. »

Ces consommateurs peuvent devenir « des acteurs du développement durable en limitant le gaspillage alimentaire », précise le document de présentation d'Eatizz. La cause, M. Steven affirme y adhérer sincèrement. « C'est important. Eatizz, ç'a été un coup de coeur. Le gaspillage alimentaire est un grave problème dans pratiquement tous les pays développés. »

LES MOYENS

Fraîchement diplômé de HEC Montréal, William Steven, 23 ans, travaille depuis huit mois à temps plein sur le concept d'Eatizz. Il y a investi quelque 30 000 $, notamment en confiant la programmation de l'application à des sous-traitants au Maghreb.

« À Montréal, c'est très compliqué de trouver des développeurs », explique le jeune entrepreneur, dont c'est la première aventure. 

Eatizz se veut un service de « promotion de dernière minute », « très rapide, réactif et récréatif ». Il espère diminuer de moitié le gaspillage alimentaire chez les commerçants qui s'inscrivent à Eatizz. Ses objectifs à court terme : avoir plus de 5000 utilisateurs et 150 commerces d'ici mai 2016.

Photo Hugo-Sébastien Aubert, La Presse

William Steven a mis sur pied Eatizz.

À la rescousse de la pisciculture

LE CONCEPT

Un compteur de larves de poisson, de crevettes et de petits organismes marins, le XperCount 2, qui permet d'optimiser la production en pisciculture. De la taille d'un gros seau, surmonté d'un couvercle qui contient un écran tactile et les détecteurs, le XpertCount 2 permet d'obtenir un compte relativement précis des organismes, leur taille moyenne et la densité de biomasse. Les mesures prises sont ensuite téléchargées, par WiFi, sur le portail de l'entreprise XpertSea.

« Nous offrons aux producteurs de la planète un outil de gestion convivial qui leur permettra d'optimiser leurs opérations et d'accroître leur rendement », résume la vidéo de présentation.

LA CAUSE

Faute de données précises, tant sur le nombre d'animaux que sur la quantité de nourriture contenue dans l'eau, la pisciculture comporte d'importantes pertes, parfois de l'ordre de 50 % de la production. Depuis 2012, XpertSea a vendu près d'une centaine de prototypes de son appareil dans une vingtaine de pays, notamment pour la culture de crevettes au Viêtnam, qui permettent de diminuer considérablement ces pertes.

D'ici la fin du mois de février, son appareil produit en série, le XpertCount 2, sera lancé sur le marché au coût d'environ 5000 $US. « On veut se concentrer sur l'Asie et la pisciculture de crevettes : c'est une industrie de production alimentaire qui croît à un rythme incroyable, précise la PDG de XpertSea, Valérie Robitaille. Notre mission est de les aider. Élever un boeuf, ce n'est pas durable. La pisciculture, oui. » Faute de comptage précis, on peut difficilement évaluer la nourriture nécessaire. « C'est crucial. Si elle est insuffisante, les organismes ne grandiront pas bien. »

Le XpertCount 2 permet en outre d'assurer aux acheteurs qu'on leur a bien livré le nombre promis de larves. Enfin, il permet de réduire le recours aux antibiotiques, source de controverse puisqu'ils affectent les milieux marins où on pratique la pisciculture.

LES MOYENS

Avec 16 employés à temps plein, la petite entreprise de Québec s'apprête à accélérer la cadence. Après quatre ans de production pratiquement artisanale, les clients se bousculent à ses portes pour obtenir son appareil, que l'on a choisi à dessein d'offrir à un prix abordable. Pratiquement tout le marché du XpertCount « est destiné à l'exportation dans les pays en voie de développement ». 

« Si on met ça trop cher, nos clients ne pourront pas optimiser leur production s'ils ont besoin de plusieurs appareils », indique Mme Robitaille. La composante humanitaire de son entreprise, la jeune PDG y croit, « c'est vraiment important, et beaucoup de nos employés aussi y tiennent, c'est vraiment avec coeur qu'on s'est lancé là-dedans ».

Photo Yan Doublet, Le Soleil

La PDG de XpertSea, Valérie Robitaille.

Les finances par le jeu

LE CONCEPT

Un jeu vidéo, Tooniie Land, dont le but est d'enseigner des notions de finances personnelles. Le joueur se lance dans une chasse au trésor dans laquelle il doit acquérir un bateau, en gérer le budget pour s'assurer qu'il pourra entretenir un équipage et assumer les réparations. Le jeu, qui devrait sortir au début de l'automne 2016 et qui sera offert dans certaines classes, vise à sensibiliser les jeunes aux défis des finances personnelles. 

Une première version s'adresse aux élèves du dernier cycle du primaire ; une seconde, plus complexe, sera proposée par la suite. Le jeu a été conçu par une petite entreprise de Québec, Simiixi, dirigée par un étudiant en géomatique de l'Université de Sherbrooke, Windor Dorméus, ainsi que deux associés, Andréa Richardi et Alain Mugisha.

LA CAUSE

« J'ai 31 ans, j'ai fait toutes mes études au Québec et la question des finances personnelles n'a jamais été abordée», explique Windor Dorméus.  Inspiré par des parents entrepreneurs immigrés d'Haïti, il s'est lancé il y a un an dans ce projet de jeu éducatif avec une campagne de financement sur Indiegogo. Il a raté de très loin l'objectif de 90 000 $ en ne recueillant que 1261 $, mais assure ne pas vouloir baisser les bras. 

« On a présenté le jeu en Belgique, en France, en Tunisie et en Inde, et l'idée a été très bien reçue. À Toronto, les gens baignent dans l'information financière. Au Manitoba, on l'enseigne dès la maternelle. Je veux faire ma part pour que les jeunes au Québec apprennent eux aussi à gérer leurs finances. »

LES MOYENS

Simiixi est une petite entreprise embryonnaire - qui s'est installée chez les parents de M. Dorméus, dans l'arrondissement de Charlesbourg, à Québec - dont le jeu Tooniie Land est le principal projet. En parallèle, elle coordonne un service de déneigement et de nettoyage de voitures destiné aux commerces. La sortie du jeu, prévue en octobre 2016, sera dans un premier temps réservée au milieu scolaire. M. Dorméus se réjouit de l'appui de l'École d'entrepreneurship de Beauce et de la Fédération des établissements privés, qui regroupe 190 établissements et aurait manifesté son intérêt pour Tooniie Land.

Photo Yan Doublet, Le Soleil

Windor Dorméus