Les géants du web et des réseaux sociaux, surtout Facebook et Twitter, sont accusés de faire le jeu des mouvements djihadistes, et du groupe État islamique (EI) en particulier, qui les utilisent pour recruter, diffuser leur propagande et semer la terreur.

Début novembre à Londres, le nouveau patron de l'agence britannique de surveillance (GCHQ), Robert Hannigan, a estimé qu'internet était devenu pour l'EI «un centre de contrôle et de commandement» et a demandé «un plus grand soutien du secteur privé, notamment des plus grands groupes de technologie américains qui dominent le web».

Dans une tribune publiée dans le quotidien Financial Times, il ajoute que «l'EI est le premier groupe terroriste dont les membres ont grandi avec internet. Ils exploitent le pouvoir du web pour créer une menace djihadiste à l'échelle globale. Cela pose un énorme défi aux gouvernements et à leurs services de renseignements, qui ne pourront être relevés qu'avec une plus grande coopération des sociétés de technologie».

«Même si ça leur déplaît, [ces sociétés] sont devenues le centre de contrôle et de commandement préféré des terroristes et des criminels, qui comme chacun d'entre nous apprécient le côté révolutionnaire de leurs services et s'y adaptent», accuse M. Hannigan.

Dans un rapport intitulé The Islamic State, Richard Barrett, ancien chef du contre-terrorisme au MI5 (renseignements britanniques), aujourd'hui expert au sein du groupe de réflexion Soufan Group après être passé par l'ONU, explique que «l'EI a su tirer le maximum de la nature décentralisée des réseaux sociaux (Twitter en particulier), qui permet à chacun de ses partisans de créer et d'animer son propre ministère de l'information, diffusant la propagande officielle tout en créant et diffusant leurs propres messages».

«La stratégie médiatique de l'EI est supervisée par Abou Amr al Shami, un Syrien né en Arabie saoudite, qui contrôle une armée de rédacteurs, de blogueurs et de chercheurs qui surveillent en permanence internet, en particulier les réseaux sociaux», ajoute-t-il. «L'EI a externalisé sa propagande. C'est sans précédent. Ce faisant, il maximalise le contrôle de son message en abandonnant le contrôle de sa diffusion».

Trop peu, trop tard 

Les principaux réseaux sociaux ont adopté au fil des ans des chartes de bonne conduite et surveillent en théorie ce qui s'échange sur leurs plateformes. Mais ils assurent être en la matière victimes de leur succès: Twitter par exemple compte 284 millions d'abonnés, qui échangent 500 millions de tweets par jour.

Ils n'en suspendent ou annulent pas moins régulièrement des comptes prônant la violence ou le djihad, mais les cyberdjihadistes sont passés maîtres dans l'art de rouvrir en quelques heures, parfois en quelques minutes, d'autres comptes similaires. Ils ont également recours à des réseaux sociaux moins connus, mais tout aussi efficaces, basés dans des pays où aucune législation répressive n'existe en la matière.

Des enquêteurs et journalistes ont démontré, notamment en créant des comptes Facebook sous de fausses identités, à quel point il était facile de contacter des djihadistes en Syrie ou en Irak ou des aspirants au djihad, dans des échanges sur lesquels aucune censure ne semble s'appliquer.

Pour l'experte américaine Rita Katz, qui a fondé aux États-Unis le site de surveillance des sites islamistes Site Institute, la suspension notamment par Twitter de quelques comptes est «trop peu, trop tard».

«Étant donné l'emploi de Twitter par les djihadistes, suspendre un petit nombre de pages ne règlera pas le problème», estime-t-elle. «L'EI est simplement l'un des nombreux groupes qui ont détourné Twitter pour la promotion de leur djihad».

Mis en cause mardi dans l'enquête sur l'assassinat, au couteau et en pleine rue par deux djihadistes d'un soldat britannique à Londres en mai 2013, la société Facebook a répondu le même jour, dans un communiqué: «Comme tout le monde, nous avons été horrifiés par ce crime odieux [...] La politique de Facebook est claire, nous ne tolérons aucun contenu terroriste sur le site et faisons notre possible pour empêcher les gens d'utiliser notre service à ces fins».

Interrogé par l'AFP, un porte-parole de Twitter en France a déclaré que le site «n'effectue pas de commentaire officiel sur le sujet, pour des raisons de sécurité et de confidentialité.»