La Cour suprême des États-Unis a préféré s'abstenir de révolutionner le paysage audiovisuel américain, en donnant raison mercredi aux puissantes chaînes de télévision face à une entreprise en démarrage qui proposait aux internautes de regarder les programmes télévisés en direct sans payer le moindre abonnement au câble.

Dans une décision de six juges contre trois, la haute Cour a estimé que la jeune entreprise Aereo avait violé la loi sur les droits d'auteurs.

«Nous estimons que les activités d'Aereo empiètent sur le droit exclusif des réseaux (câblés) de diffuser publiquement leurs programmes d'auteurs», a déclaré le juge progressiste Stephen Breyer en présentant l'arrêt.

Aereo, qui existe depuis 2012, loue à des internautes, sous la forme d'un abonnement, une mini-antenne de réception TV, de la taille d'une pièce de monnaie. Cette mini-antenne reste en fait dans les locaux d'Aereo, pour l'instant dans 11 villes américaines, dont New York.

Les antennes, reliées entre elles, captent les ondes hertziennes gratuites des chaînes locales, qui sont généralement des déclinaisons locales des grandes chaînes ABC, CBS, NBC et Fox.

Les abonnés peuvent ensuite regarder en direct ces chaînes, en diffusion en flux depuis leurs ordinateurs ou tablettes, ou les enregistrer.

L'intérêt de cette technologie est de permettre aux abonnés d'éviter de souscrire à un abonnement au câble ou au satellite, qui sont les méthodes les plus communes pour recevoir la télévision aux États-Unis.

Il est «clair qu'Aereo n'est pas simplement un fournisseur d'équipement», mais son «activité est finalement similaire à celle des autres compagnies» du câble, peut-on lire dans la décision des quatre juges progressistes rejoints par les conservateurs John Roberts et Anthony Kennedy.

«Aereo vend un service qui permet à ses abonnés de regarder les émissions de télévision, protégées par un droit d'auteur, quasiment quand ils sont diffusés», ajoute l'arrêt.

Le jugement marque une grande victoire pour les compagnies du câble, comme le géant Time Warner, ainsi que pour les grandes chaînes, qui avaient poursuivi en justice Aereo dès son lancement. Car la technologie d'Aereo représentait une perte potentielle de milliards de dollars d'abonnements et les câblo-opérateurs paient cher le droit de diffuser des chaînes à leurs abonnés.

Le «cloud» pour plus tard

Les géants de l'internet comme Google, Facebook et Yahoo! avaient pris le parti d'Aereo. Mais la Haute Cour a décidé de s'abstenir de prendre une décision plus large qui aurait pu avoir des conséquences sur l'ensemble du commerce sur internet et le «cloud», le stockage de données sur des ordinateurs distants.

«Nous pensons que la résolution de questions plus larges sur le "nuage", le stockage à distance de vidéos enregistrées électroniquement ou d'autres nouvelles affaires qui ne sont pas aujourd'hui devant nous, doivent attendre une plainte dans laquelle elles seront clairement présentées», a encore déclaré le juge Breyer, insistant sur «la nature limitée du jugement».

Le fondateur d'Aereo, Chet Kanojia, a parlé d'un «recul majeur pour le consommateur américain» et d'un «message cinglant pour le secteur technologique». Il a annoncé qu'Aereo «continuerait à se battre pour (ses) clients et pour créer des technologies innovantes».

Ed Black de l'Association de l'industrie informatique et des communications, qui représente des géants comme Google, a fustigé «une interprétation du droit décevante à la fois pour les téléspectateurs, les internautes et les innovateurs».

Pour sa part soulagée, l'Association nationale des sociétés de diffusion s'est félicitée que «la Cour suprême ait confirmé le concept de protection des droits d'auteur qui est inscrit dans la Constitution».

A l'instar de Walt Disney, le groupe de Rupert Murdoch, 21st Century Fox, estime que cette victoire «consolide des remparts importants sur les droits d'auteur et assure que la vraie innovation en vidéo continuera à soutenir un paysage audiovisuel dynamique en expansion».

Jeff Kagan, expert des médias, considère que la victoire sera de courte durée pour la télévision traditionnelle. «Les chaînes câblées doivent dès maintenant rester en éveil devant les défis significatifs provenant de nouveaux compétiteurs». «Les prix doivent baisser et l'intérêt du consommateur doit primer», a-t-il prévenu.