L'Italie soupçonne le géant américain TripAdvisor de ne pas lutter efficacement contre les faux avis en ligne: un sujet devenu la bête noire des professionnels du tourisme, dans un secteur où internet est incontournable.

Alertée par des consommateurs et des professionnels, l'autorité italienne de garantie de la concurrence et du marché (AGCM) a annoncé mardi avoir ouvert une enquête afin de «vérifier» si TripAdvisor, qui se pose en numéro un mondial des conseils aux voyageurs avec 260 millions de visiteurs uniques mensuels, «adopte les mesures idoines pour prévenir et limiter le risque de publication de fausses critiques».

TripAdvisor a assuré à l'AFP combattre «agressivement la fraude» avec des systèmes de détection reposant sur «des algorithmes sophistiqués» et une équipe de plus de 200 spécialistes du contenu. Dont d'anciens membres du renseignement militaire ou de la fraude bancaire, qui épluchent les écrits suspects...

«Chaque avis passe par notre système de suivi, qui relève le comment, quoi, où et quand», affirme le site, qui promet des «sanctions sévères» aux fraudeurs.

En Grande-Bretagne, TripAdvisor avait été rappelé à l'ordre en 2012. Le gendarme britannique de la publicité (ASA), estimant impossible de vérifier manuellement chaque avis ou l'identité des auteurs, avait intimé à TripAdvisor de ne plus «dire ou laisser entendre que tous les commentaires sur son site étaient écrits par d'authentiques voyageurs ou qu'ils étaient honnêtes, véridiques et dignes de confiance».

Comme d'autres sites où sont émis des avis, TripAdvisor suscite les foudres de professionnels du tourisme dénonçant des campagnes de dénigrement de concurrents ou des avis de voyageurs imaginaires.

Des spécialistes en «e-réputation» peuvent être payés très cher pour doper la cote d'un professionnel sur internet. Une méthode parfois bien plus efficace qu'une campagne de pub.

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Dénonçant des critiques «anonymes non fondées», Pascal Favre d'Anne, chef étoilé français tenant un restaurant à Angers, vient de lancer une pétition en ligne à destination de ses pairs et des hôteliers, qui a récolté 850 signatures en dix jours, a-t-il dit à l'AFP mercredi.

«J'accepte la critique car elle fait progresser, mais pas n'importe comment. Les sites d'avis en ligne doivent avoir des modérateurs, refuser l'anonymat et contrôler la véracité des propos tenus», exhorte le chef. «On ne sait pas si ces commentaires proviennent de concurrents, si ces personnes sont réellement venues dans notre établissement», déplore-t-il.

En Angleterre, des clients brandissent de plus en plus la menace d'un mauvais avis sur TripAdvisor pour obtenir une réduction dans un hôtel ou un restaurant, selon l'Association des hôteliers-restaurateurs britanniques (BHA).

Des sanctions existent contre les déclarations frauduleuses. Mais il faut encore arriver à prouver la fraude.

En France, l'Umih, principal syndicat des hôteliers, déplore que TripAdvisor «n'ait toujours pas» adopté la nouvelle norme Afnor, mise en place en juillet 2013 sur une base volontaire pour limiter les dérives en matière d'avis et de notations.

«TripAdvisor a participé à la rédaction de cette norme, mais refuse de l'adopter. Pourquoi ?», lance Laurent Duc, président de la branche hôtellerie de l'Umih. «TripAdvisor a quitté la table des négociations juste avant la publication de la norme (...) Devenait-elle trop contraignante pour eux ?»

La norme Afnor, d'un modèle unique au monde selon l'Umih, exige que l'internaute prouve au site son achat ou son expérience avant de publier son avis.

Un groupe de travail international doit commencer à plancher en juillet sur une norme internationale ISO, souligne l'Umih.

Pour le tourisme, les enjeux de la réputation sur internet sont majeurs. En dix ans, les réservations via internet ont explosé et les avis en ligne peuvent faire la fortune d'un établissement comme causer sa perte.

La plupart des internautes lisent les avis avant d'acheter et 8 sur 10 se disent influencés, selon diverses études internationales.

Aux États-Unis, les universités Harvard et Berkeley ont établi des liens directs entre l'ajout d'une étoile de satisfaction sur un site comme Yelp et la hausse du chiffre d'affaires d'un restaurant ou l'amélioration du remplissage de l'établissement.

Dans ce paysage, TripAdvisor et ses déclinaisons locales ont une force de frappe colossale, rassemblant plus de 150 millions d'avis sur 3,7 millions d'hébergements, restaurants et lieux touristiques dans le monde dans 38 pays. Il collecte 90 avis par minute.