La Cour suprême de Turquie a estimé mercredi que le blocage des messages sur Twitter violait le droit, et a ordonné la levée immédiate de l'interdiction d'accès à la plateforme de microblogging.

La plus haute juridiction du pays a jugé à l'unanimité que l'interdiction constituait une violation du droit constitutionnel à la liberté d'expression.

Dans un message sur Twitter, Yaman Akdeniz, professeur de droit de l'internet à l'Université Bilgi d'Istanbul, a déclaré : «Nous avons eu gain de cause.» «La cour (suprême) a ordonné la levée immédiate de l'interdiction» d'accès à Twitter.

Le jugement de la cour, selon ce juriste, a invoqué une «violation de l'article 26 de la Constitution garantissant la liberté d'expression».

La Cour suprême a en conséquence ordonné la levée du blocage de la plateforme, et adressé une double injonction à l'autorité turque des télécommunications (TIB) et au gouvernement demandant de «faire le nécessaire» en ce sens, selon la télévision turque.

Le blocage du réseau Twitter est effectif depuis le 20 mars, sur instructions du premier ministre Recep Tayyip Erdogan, décidé à en finir avec la diffusion quotidienne sur internet, depuis des semaines, d'accusations de corruption.

La décision des autorités, à quelques jours des élections municipales du 30 mars, cruciales pour le gouvernement, avait provoqué en Turquie et à l'étranger, une avalanche de critiques dénonçant une mesure de «censure» et la dérive autoritaire du pouvoir islamo-conservateur turc, au pouvoir depuis 2002.

Saisi par le barreau turc, un tribunal administratif d'Ankara avait été le premier, mercredi dernier, à juger que l'interdiction de l'accès à Twitter imposée par le gouvernement était une enfreinte à la liberté d'expression. Le tribunal avait ordonné la levée de cette interdiction, largement contournée par les internautes turcs.

Selon plusieurs experts, le jugement de la Cour suprême pourrait faire jurisprudence en Turquie et dissuader à l'avenir le gouvernement de réitérer toute interdiction de l'accès aux réseaux sociaux, fréquemment utilisés par la jeunesse turque pour contourner d'éventuelles pressions sur les médias traditionnels.

Le non-respect du jugement de la Cour suprême équivaudrait à contrevenir à la loi et serait anti-constitutionnel, estiment ces experts.

Le gouvernement Erdogan soutient de son côté que Twitter, qui a désigné un avocat pour contester la décision des autorités turques, n'a pas obéi aux centaines d'injonctions de la justice demandant le retrait de contenus illicites.

M. Erdogan, notoirement opposé aux réseaux sociaux a qualifié Twitter de «menace» pour la sécurité du pays, accusant la plateforme d'avoir contribué à l'organisation des manifestations contre son gouvernement l'an dernier.

Une semaine après le réseau Twitter, son gouvernement avait également bloqué jeudi dernier l'accès à YouTube, après la diffusion de l'enregistrement d'une réunion confidentielle évoquant une intervention militaire turque en Syrie.

À trois jours des élections municipales, cette fuite, dernière d'une longue série, avait provoqué la fureur du premier ministre qui avait dénoncé un «acte ignoble, lâche, immoral» et promis à ses auteurs de les poursuivre «jusque dans leurs caves».

M. Erdogan est affaibli depuis la mi-décembre par une vaste affaire politico-financière, dont il accuse ses ex-alliés de l'organisation du prédicateur musulman Fethullah Gülen, qui vit aux États-Unis, d'en être les instigateurs.

Malgré ce scandale, le Parti de la justice et du développement (AKP) de M. Erdogan a largement remporté les élections municipales, dimanche, mais l'opposition affirme que le scrutin a été marqué par des fraudes.

Au lendemain de cette victoire, un leader de l'opposition, Kemal Kilicdaroglu, chef du Parti Populaire Républicain, a estimé qu'il fallait désormais s'attendre à des  pressions accrues «sur les médias, la société civile, et les partis politiques».