«On en a jusque-là de travailler tard toute la cris... de journée! [...] Notre productivité, vous pouvez vous la foutre où vous le voulez!»

Ces insultes n'ont pas été proférées au téléphone ou envoyées par courriel, mais sur Facebook. Or, a-t-on le droit de déverser son fiel sur un collègue de travail ou son employeur à 21h, à 450 amis, dans le confort de son salon? Dans ce cas-ci, les employés de Bell qui les ont rédigées sur leur lieu de travail ont été blâmés, et l'un d'eux a été suspendu cinq jours.

La popularité toujours grandissante - davantage aujourd'hui chez les 55 ans et plus - de Facebook, Twitter et autres Instagram confronte les entreprises et leurs employés à de nouvelles réalités: la loyauté élargie envers l'employeur et le renouvellement des frontières délimitant les domaines personnel et professionnel.

Car les cas de «débordement médias sociaux» se multiplient. «Les employés les utilisent pour ventiler», constate Myriam Robichaud, avocate chez Fasken Martineau, qui donnait récemment une formation nommée Médias sociaux: quoi faire quand vos employés dépassent les bornes? «Ils se sentent plus libres de partager leurs pensées.»

«Ils ont l'impression que, le soir, leurs agissements sur Facebook n'ont aucun impact, note aussi Éloïse Gratton, associée, coprésidente, vie privée de la firme McMillan et coauteure du livre Privacy in the Workplace. Ils ont l'impression que ce ne pourra être utilisé contre eux.»

Mais ils ont tout faux! «Il y a une certaine méconnaissance du fait que les lois s'appliquent en ligne, affirme Éloïse Gratton. En vertu de la Charte québécoise, les employés ont la liberté d'expression. Mais elle n'est pas sans limites. Au Québec, on n'a pas le droit de critiquer son employeur ni ses activités. C'est contre l'obligation de loyauté prévue au Code civil. Si on a un profil Facebook, même privé, c'est considéré comme public, selon le Code civil.»

Revoir les politiques

Si les réseaux sociaux rapprochent les gens et permettent à tous le droit de parole public, ils poussent les entreprises à revoir leur politique d'usage technologique. «Il y a deux ans, on a ajouté les mots «médias sociaux» dans le code de conduite de l'entreprise, mentionne Isabelle Arthur, chef de service, relations avec les médias d'Air Canada. On a communiqué avec nos 27 000 employés, tant les pilotes que le personnel de bureau et de maintenance, pour les informer que les réseaux sociaux sont maintenant inclus dans les médias traditionnels, d'une certaine façon.»

«Dans la dernière année, bon nombre d'entreprises ont été conscientisées, souligne Bruno Guglielminetti, directeur, communication numérique, du cabinet de relations publiques National. Un peu comme à l'époque de l'arrivée des ordinateurs dans les lieux de travail, puis d'internet, des portables et du téléphone cellulaire, les administrateurs ont dû encadrer leur utilisation. La différence avec les réseaux sociaux, c'est qu'on encadre le lien qui existe entre l'individu et l'entreprise.»

National dit être plus sollicité que jamais pour former employeurs et employés à cette nouvelle réalité. «Les formations ont doublé en deux ans, note Bruno Guglielminetti. Tant chez les cabinets d'avocats que chez les banques et les compagnies d'assurances.»

Mais malgré toutes les précautions prises, les entreprises doivent jauger, au cas par cas, ce qui relève du domaine privé et ce qui relève du domaine public. «Il y a des zones grises», concède Éloïse Gratton.

----------------

75%

Proportion des employés qui utilisent les médias sociaux au travail en Amérique du Nord.

60%

Proportion des employés qui admettent aller sur les médias sociaux plusieurs fois par jour en Amérique du Nord.

Source : Privacy in the Workplace, 3e édition, d'Éloïse Gratton et Lyndsay Wasser, CCH, 2013