Pour ses infos racoleuses, son fulgurant succès et son talent pour «faire le buzz» sur les réseaux sociaux, le site BuzzFeed, bientôt en français, suscite à la fois mépris et inspiration chez les pure players français.

Créé en 2006 par Jonah Peretti, également fondateur du Huffington Post, BuzzFeed a atteint 85 millions de visiteurs uniques en août au niveau mondial, ce qui le place entre Twitter et Amazon, selon le cabinet Quantcast.

Un succès tiré par son utilisation des réseaux sociaux, qui lui servent de caisse de résonance : BuzzFeed publie des contenus faciles et amusants que les gens ont envie de partager. Son credo: faire passer l'info de la recherche (Google) au partage entre amis, souvent en mobilité (Facebook et Twitter).

Cette recette pourrait faire un tabac en France et capter une partie des recettes publicitaires.

«Cette arrivée va forcément avoir de l'impact. Cela va tendre un peu le marché publicitaire car il n'y a pas des milliards de revenus publicitaires possibles», commente Alice Antheaume, responsable de la prospective à l'École de journalisme de Sciences Po, où la version française de BuzzFeed sera officiellement lancée le 4 novembre.

«Sa façon de faire de l'info est différente de celle des pure players. BuzzFeed va miser sur les articles avec des listes, le social et le mobile, un créneau pas forcément occupé par les autres. Mais il n'est pas encore très connu du grand public».

Le modèle économique du site est basé sur un format publicitaire émergent en France, le «native advertising»: des contenus rédigés spécialement pour un annonceur, tout en faisant le buzz, et intégrés au site.

«Ils font du native advertising à fond. Ils n'ont pas la pudeur des médias français qui considèrent que c'est souiller le journalisme. Il sera intéressant de voir comment le public français va réagir», prédit-elle.

Le low-cost du low-cost

Malgré ses infos jugées superficielles, les sites sérieux reconnaissent tous que BuzzFeed a créé un nouveau style de lecture idéal pour internet. Et qu'en plus il est rentable.

«BuzzFeed a restructuré la façon de lire un site d'info», note Johan Hufnagel, rédacteur en chef de Slate.fr. «Avant, la structure des sites était celle du papier, avec des rubriques comme «Politique», Diplomatie», etc. BuzzFeed s'est adapté à internet avec des classifications en «LOL», «OhMyGod», «Cute», «What the fuck»..., explique-t-il.

«Tous les sites s'en inspirent désormais. La petite révolution de Buzzfeed a été de concevoir une information partageable, avec une approche très techno du trafic, des réseaux sociaux... Les sites français ont beaucoup à apprendre de ce lien entre technologie et contenu. Tous essaient maintenant de faire aussi une info écrite en connivence avec l'internaute, des listes, etc.».

«Une version française de BuzzFeed traduite par des étudiants d'une école de langues ? C'est le low-cost du journalisme low-cost», s'amuse Pierre Haski, président de Rue89, site très reconnu mais qui cherche toujours son modèle économique.

«S'ils arrivent à utiliser leur trafic pour du journalisme sérieux, ils deviendront des acteurs importants du web... Nous sommes tous à des moments de la journée attirés par le petit truc rigolo sur internet. Il y a un savoir-faire que personne n'a en France, mais faire traduire par des étudiants, c'est un peu se moquer du monde. Et ce sera lancé à Sciences Po !», s'étonne-t-il.

Quant au groupe de média Melty, qui base aussi son succès sur sa maîtrise du web, pas question d'être assimilé à BuzzFeed.

«Ce n'est pas du tout notre modèle, c'est même plutôt l'opposé», souligne Alexandre Malsch, cofondateur de Meltygroup. «Nous sommes sur une logique de média, avec une vraie rédaction. Les annonceurs viennent chercher chez nous des formats dits premiums là où Buzzfeed utilise des contenus créés par les internautes, qui veulent générer de l'émotion, et être facilement partagés.»

«Pour nous, BuzzFeed est un relais de croissance qui amplifie les buzz de nos contenus. BuzzFeed va avoir un impact similaire à Twitter».